Ce témoignage poignant est publié aux éditions Cornac. La citoyenne d’Auteuil espère maintenant que son livre deviendra une lecture obligatoire en milieu scolaire.
La prémisse
En quelque 200 pages, Jennifer Cyr relate les principaux événements ayant marqué son enfance et adolescence. Dès le primaire, la petite fille de Boisbriand essuie les moqueries. Un accident lui a occasionné de gros problèmes de dentition. Ses camarades de classe la surnomment «Dents de lapin».
Ça n’allait être que le début de 10 longues années de violence psychologique et physique qui allaient culminer en une tentative de suicide à l’automne de sa 4e secondaire
Connaître l’enfer
Pendant une année passée en Guinée, sur le continent africain, Jennifer Cyr connaîtra un peu de répit. Là-bas, tout le monde est amical. Aucune discrimination. La paix.
Le retour à la réalité québécoise, via son entrée au secondaire dans une école anglophone de la Couronne Nord, sera un choc. C’est surtout au début du 2e secondaire qu’un groupe de six filles, mené par une tête forte, décide de s’en prendre à l’adolescente, qui croyait alors avoir enfin retrouvé un peu de sérénité.
Les ragots commencent à courir sur le fait qu’elle soit une fille légère. Les commentaires sont dégradants et vulgaires. «Salope», «Bac à sperme», «Grosse vache» deviennent les désignations quotidiennes de la jeune femme pourtant encore vierge. D’autres élèves emboîtent le pas du noyau dur d’intimidatrices. Les insultes fusent au même rythme qu’on la bouscule dans les corridors ou qu’on la frappe contre les casiers. Chaque semaine, l’élève maltraitée accumule les visites à l’infirmerie et les retards en classe.
«Ces filles ont créé une véritable armée organisant une campagne de salissage de tous les jours, que ce soit des textos, des manigances, des lettres dans les casiers, raconte Jennifer Cyr, qui a 26 ans aujourd’hui. Elles me répétaient que je méritais de mourir parce que je gâchais la vie des autres.»
Ces épisodes connaîtront un crescendo quand les filles comploteront pour qu’un garçon lui fasse des avances, afin de la déflorer, sinon la violer, question de la rendre identique aux sobriquets sexuels dont on l’affuble sans arrêt. La réaction du directeur de l’établissement quand elle lui rapporte les multiples incidents, se résumera constamment à de l’incrédulité et un parti-pris envers les agresseurs. Pour lui, l’adolescente invente des histoires pour attirer l’attention sur elle.
Point de chute
Un jour de 4e secondaire, Jennifer voit une photo précieuse placardée dans l’établissement. Des insultes blessantes sont griffonnées dessus. Elle tente alors d’en retrouver le responsable et une bagarre entre élèves est déclenchée.
Après cet événement, tout se bouscule. Visite de la DPJ, nouvelles menaces de mort, déni répété du directeur, désespoir de Jennifer que personne ne croit à part deux de ses professeurs, mais qui ne sont encore jamais intervenus directement, ne pouvant pas confirmer leurs doutes. Son enseignante d’anglais lui a tout de même confié une clef pour qu’elle puisse se réfugier dans son bureau quand bon lui semble.
Le vendredi, à son retour à la maison, Jennifer se dirige droit vers sa chambre. La décision est prise. Elle s’empare d’une ceinture, l’attache à son cou, referme la porte de sa garde-robe et tente de se pendre à la pôle de celle-ci.
«C’est mon asthme qui m’a sauvée, confie-t-elle en gloussant. J’ai fait une crise et me suis évanouie. Mon père et mon frère m’ont récupérée. Aujourd’hui, je suis capable d’en rire, mais il est sûr que ç’a été un drame pour la famille.»
Sortir de l’enfer
Les parents décident de rencontrer la direction de l’école pour régler définitivement la situation qui a trop dégénéré. Toutefois, dès le lundi, un mot est glissé dans le sac à dos de Jennifer. Le message est clair: «On va t’achever.» Elle se précipite au bureau du directeur et lui tend le mot. À genoux, elle le supplie d’intervenir. Lui l’accuse d’exagérer encore une fois la portée du geste.
Dès qu’elle sort dans le couloir, Jennifer est assaillie par ses tortionnaires. L’une d’elles porte la main à son cou. À ce moment, le directeur sort de son bureau. Il est témoin de la scène. Croisant les yeux de Jennifer, il passera son chemin pendant qu’on tente encore de l’étrangler.
Révoltée, l’élève se débattra suffisamment pour se déprendre et prendre la course jusqu’à son casier jouxtant la classe du professeur de religion. Ce dernier attend encore quelques-uns de ses élèves à la porte. Il voit Jennifer s’arrêter devant son casier, les filles à ses trousses. Aujourd’hui, le maquillage dissimule habilement la marque de bague que lui a laissée une agresseuse avec un coup de poing.
Le professeur invective les filles et finit par faire rentrer Jennifer dans sa classe, lui demandant d’aller s’asseoir au dernier rang.
«C’était un prof toujours souriant et affable, se souvient Jennifer Cyr. Mais là, il a pris un ton sec et a ordonné à tous les élèves de prendre un livre, de l’ouvrir et de le porter devant leur visage, comme s’ils lisaient. Le directeur a frappé à la porte et s’est enquis de ma présence auprès de lui. Il lui a répondu ne pas m’avoir vue. Il m’a ensuite demandé le numéro de mes parents et les a appelés pour leur dire qu’il avait souvent été témoin d’incidents me concernant. « Votre fille est en danger ici. Venez la chercher, c’est urgent! »»
Dernier incident
L’adolescente sera transférée au Collège Letendre. Les parents expliqueront au directeur de l’école lavalloise la situation particulière vécue par elle. Ce dernier les assurera qu’en matière d’intimidation, c’est tolérance zéro.
«Les filles de mon ancienne école connaissaient du monde de Letendre et ont tenté de perpétuer leur action contre moi, se remémore Jennifer. Au premier incident impliquant une autre élève, le directeur nous a convoquées aussitôt à son bureau. Il a regardé l’autre fille et lui a dit que c’était son premier et dernier avertissement. On n’a plus jamais essayé de m’intimider par la suite. Après avoir été occupée à survivre autant que je peux, le nouveau défi a été de commencer à me reconstruire en partant de zéro.»