C’est sur l’île Mathieu, au confluent de la rivière des Mille Îles et de la rivière des Prairies que Jean-Pierre Pratte nous avait donné rendez-vous, en mars. Un essaim de goélands s’égrenait sur les flots à demi gelés, entre la pointe de l’île Jésus et le pont Charles-de-Gaulle.
Cette semaine encore, M. Pratte a visité l’endroit, inquiet. L’an dernier, on lui a dit que le bras de rivière qui coule sous le pont de l’île Mathieu pourrait être remblayé. Une simple rumeur, assure-t-on à la Ville.
Quoiqu’il en soit, cet observateur accompli, résident de Laval depuis 53 ans, reste aux aguets. Depuis 35 ans, il est un témoin privilégié des conséquences néfastes du développement débridé et de la pollution en sol lavallois.
De 151 à 106
Depuis 2002, Laval est passé de 151 sites d’observation d’oiseaux à 106, au moment du dépôt de la quatrième édition du Guide, en octobre 2006. «On en a perdu six ou sept depuis», disait-il en mars.
En novembre dernier, cite-il en exemple, la zone boisée avoisinant le parc de maisons mobiles à l’angle de l’avenue Roger-Lortie et du boulevard Marcel-Villeneuve, à Saint-François, est disparue. En rasant les arbres pour laisser place au chantier de la 25, on éliminait du même coup une forêt mature, «un dortoir pour les rapaces», se désole M. Pratte.
Les oiseaux ont déserté un autre site, près du chemin Sainte-Marie, au nord de l’avenue des Perron. Cent quarante espèces fréquentaient ce secteur, où les moustiques pullulaient. «Avant, ça prenait un brave, pour aller là.»
Au cours des deux dernières années, l’ornithologue a pu y mener des activités de recensement sans être importuné par les insectes piqueurs. Seulement une quinzaine d’espèces d’oiseaux est toujours au rendez-vous. L’épandage d’insecticide serait à l’origine de l’hécatombe, selon M. Pratte.
L’auteur cite encore le cas d’un marais rayé de la carte, au bois de l’Équerre, à Sainte-Rose, et du développement frénétique du secteur résidentiel au sud-ouest de l’autoroute 13, à Sainte-Dorothée. «Moi, je conçois qu’il y ait du développement urbain; la population augmente, et il faut augmenter la quantité d’habitations, admet-il. Ce qu’il faut arrêter, c’est la construction en damier, qui fait qu’on construise dans un marais parce que c’est moins cher.»
Laval à l’honneur
Près de 40% de la superficie de Laval est encore disponible pour l’observation des oiseaux, note cependant Jean-Pierre Pratte, dans son Guide, illustré à l’aide de plus de 400 cartes de sites dénichés à l’échelle de la province.
L’amant de la nature a visité la plupart des sites répertoriés dans son Guide, au fil des années passées à ratisser le territoire québécois, des îles de la Madeleine à l’Abitibi, en passant par la Gaspésie.
Pour l’édition 2007 de son livre, il a pu compter sur l’aide de plus de 200 collaborateurs dispersés aux quatre coins du Québec, qui ont fourni textes, photos et cartes.
L’auteur consacre une section entière de son ouvrage à Laval, avec 106 des 500 sites d’observation recensés à travers le Québec. «Je connais tous les trous d’eau à Laval!» ironise Jean-Pierre Pratte, un des cofondateurs du Club d’ornithologie de Laval.
Quelque 200 espèces peuvent encore être observées sur le territoire de la municipalité, estime-t-il. Mais il faut se dépêcher. «Profitez-en, un marais est vite disparu à Laval», dit-il avec un sourire amer.
PRATTE, Jean-Pierre. Guide des sites d’observation des oiseaux du Québec, Broquet, 2007, 486 p., 29,95. jppratte@videotron.ca JPPratte.jpg