Comme l’arrivée de la calculatrice électronique ou l’Internet, le logiciel d’intelligence artificielle ChatGPT a eu l’effet d’une bombe, surtout dans le domaine de l’éducation.
Lancé en novembre 2022, le logiciel est toujours en évolution constante, si bien qu’il est ardu pour les intervenants de se positionner à son sujet.
Même si quelques professeurs du collège ont soupçonné l’utilisation du logiciel par certains de leurs étudiants, aucun cas précis n’a été rapporté au Syndicat des enseignantes et enseignants du cégep Montmorency, au Syndicat de l’enseignement de la région de Laval ni au Centre de services scolaires de Laval (CSSL).
Plagiat
Sous la forme d’une conversation virtuelle, ChatGPT peut répondre à toutes les formes de questions en produisant une liste de recommandations ou des essais littéraires.
L’enjeu principal qui inquiète bien sûr les intervenants scolaires: le plagiat. Avec ce logiciel gratuit et accessible, la tricherie n’aura jamais été aussi simple pour les étudiants.
Certains professeurs, comme Hélène St-Denis, professeure d’histoire au Collège Montmorency, ont entièrement revu leur pédagogie pour la session d’hiver 2023.
«Je ne connais pas assez ChatGPT pour savoir ce qu’il est capable de faire, affirme-t-elle. J’aime mieux prévenir le temps qu’on retombe sur nos pieds. J’ai décidé de faire la classe inversée. Les étudiants lisent des textes à la maison et les travaux sont effectués à la main en classe.»
En éliminant par cette méthodologie les travaux à la maison, les risques d’utilisation du logiciel par les étudiants en classe diminuent grandement. Hélène St-Denis admet que ce n’est toutefois pas une situation idéale puisqu’elle limite le temps de réflexion nécessaire pour pondre un ouvrage de qualité.
«Ce qu’on demande aux étudiants de développer comme habiletés, si c’est ChatGPT qui le fait pour eux, comment vont-ils apprendre?»
–Hélène St-Denis, professeure d’histoire et coordonnatrice du programme de sciences humaines au cégep Montmorency
ChatGPT peut même commettre des fautes d’orthographe sur demande qui pourraient potentiellement dissimuler son usage dans un cadre scolaire. Cependant, l’outil n’est pas infaillible.
«Son plus grand défaut, c’est qu’il ne doute pas, témoigne Virginie Lambert-Pellerin, professeure au département de français et littérature de Montmorency. Tout ce qu’il affirme, il le fait avec conviction, même si l’information est erronée. C’est notre métier de lire des textes. À force de lire des textes générés par ChatGPT, on devient très sensible au style. Il y a une espèce de froideur et d’efficacité mécanique qui transparaît. On peut douter de son utilisation par un étudiant, mais c’est difficile de le prouver.»
Au Collège, plusieurs enseignants des départements de français et sciences humaines ont recours à des logiciels tels que Compilatio quand ils soupçonnent un étudiant de plagiat.
Toutefois, ces logiciels ne peuvent repérer l’usage de ChatGPT, comme l’intelligence artificielle condense toutes les informations programmées dans son système et formule de nouvelles réponses à chaque question posée.
En d’autres mots, puisque les réponses de ChatGPT ne se retrouvent pas intégralement en ligne, elles sont indétectables par les logiciels existants.
Notons que de fausses citations et des erreurs factuelles ont été relevées dans certaines réponses du logiciel par les enseignants. De plus, il ne cite aucune source.
Guillaume Arsenault, professeur en technique d’intégration multimédia au cégep Montmorency, soulève une question intéressante: «est-ce que l’utilisation de ChatGPT constitue du plagiat?»
Il est vrai que, jusqu’à maintenant, aucune législation n’offre de réponse à ce questionnement.
Actions
Présentement, sur le territoire lavallois, il n’existe aucune politique uniformisée liée au plagiat. La responsabilité incombe aux directions des établissements d’appliquer leur propre réglementation.
Les syndicats, comme les enseignants interrogés, sont d’avis qu’une concertation générale de l’ensemble des intervenants, incluant les instances gouvernementales, devrait avoir lieu afin de prendre position sur l’intelligence artificielle en contexte scolaire.
Au Collège Montmorency, les notions de plagiat sont intégrées au sein d’une politique plus large qui n’est pas adaptée à cette nouvelle réalité.
«C’est difficile à dire ce que l’intelligence artificielle va amener à chaque discipline, car c’est juste le début, souligne Amélie Therrien, présidente du Syndicat des enseignants du cégep Montmorency et enseignante d’éducation physique. Si un jour j’en ai besoin, c’est sûr que j’aimerais avoir les outils et une politique institutionnelle qui va me couvrir.»
Quant à André Arsenault, président du Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, «la responsabilité de protéger le cheminement des élèves, ça appartient au Centre de services scolaire.»
Le CSSL a formé un sous-comité dédié à ChatGPT relevant du comité pédago-numérique. Ayant eu leur première rencontre en décembre, la dizaine de membres n’a pas encore statué sur une action précise à entreprendre, mais sont plutôt en période d’analyse.
«Dans notre offre de formation en soutien aux enseignants, le comité s’est penché sur l’idée de pouvoir former leurs collègues ou de donner une couleur d’intelligence artificielle aux contenus de certaines formations existantes», explique Jean-Michel Panet, coordonnateur aux services éducatifs du CSSL.
Le déploiement d’une politique liée au plagiat ou de procédures précises concernant l’intelligence artificielle n’est pas dans les plans du CSSL pour l’instant, mais M. Panet incite les directions du territoire à les contacter en cas de besoins liés à ces enjeux.
Outil d’apprentissage
L’arrivée de ChatGPT suscite les débats, mais aussi des réflexions pertinentes sur le rôle d’enseignant et les façons d’éduquer nos futurs citoyens.
«Cela nous amène à questionner notre rôle en tant qu’enseignant, soutient Guillaume Arsenault. Si c’est de créer des êtres humains qui sont dotés d’un sens critique, munis de discernement et de les sensibiliser à la question de la tricherie, dans certains cas, c’est sûr que ce n’est pas bon d’utiliser le logiciel pour tricher, mais pourquoi se priver d’utiliser ce type de technologie comme un outil complémentaire à l’apprentissage?»
Dans un domaine tel que l’intégration multimédia, l’arrivée d’un outil comme ChatGPT attise davantage la curiosité que la peur.
Dans une perspective pédagogique, le logiciel pourrait être utilisé pour fournir de la rétroaction aux étudiants sur le travail en classe, générer des pistes de solutions ou en complément à de la recherche intensive.
Son utilisation encadrée en ce contexte permettrait une économie de temps qui n’a pas d’équivalent dans la réalité en plus d’alléger significativement la charge de travail enseignante tout en bonifiant le cursus scolaire des étudiants.
Les opinions restent toujours partagées pour le moment étant donné que la plupart tentent toujours de s’approprier une technologie nouvelle en mouvance.
«Je ne considère pas le logiciel comme un outil pédagogique pour l’instant, explique Hélène St-Denis. Je pense plutôt qu’il empêche les étudiants de réfléchir par eux-mêmes.»