Le hockeyeur lavallois Eliezer Sherbatov ne le cache pas: il se considère chanceux d’être revenu auprès de ses proches, mais il «se sent coupable» de savoir que certains de ses coéquipiers sont toujours pris à Droujkivka, en Ukraine.
«J’ai eu la chance de m’en sortir et je suis maintenant avec mes enfants, souligne-t-il. J’ai joué avec eux aujourd’hui. J’ai des amis qui sont pris là-bas et qui n’ont pas de nouvelles depuis ce temps. Je n’en reviens pas que ça survienne en 2022 dans des pays civilisés. C’est inimaginable.»
Celui qui réside à Sainte-Dorothée se trouvait à Droujkivka, dans l’est du pays, pour disputer un match prévu le 24 février contre l’équipe locale, quand l’invasion russe a débuté.
La veille, le hockeyeur avait fait un trajet sans anicroche avec l’ensemble de ses coéquipiers du HC Marioupol. C’est toutefois le bruit des bombes qui les ont réveillés le lendemain matin.
«Tu te réveilles et tu entends des bombardements, se remémore difficilement Sherbatov. Tu vois la lumière des explosions et tu commences à avoir peur. J’ai encore de la difficulté à voir de loin à cause de cette lumière. On voyait que ça se passait à côté. […] Je n’étais pas capable de rester sur place, parce que je me sentais dans l’attente d’une mort.»
À ce moment, le personnel de l’équipe conseillait aux joueurs de rester sur place, mais le Lavallois sentait qu’il valait mieux partir. Pour ce faire, il a d’abord tenté de contacter le gouvernement du Canada, sans réel succès.
Eliezer Sherbatov est alors passé par le gouvernement d’Israël puisqu’il détient la double-nationalité.
L’ambassade israélienne lui a demandé de se rendre à Varsovie, en Pologne, ce qui le forçait à prendre le seul train pouvant le transporter dans l’ouest ukrainien.
«J’ai discuté des plans avec mon père, poursuit Sherbatov. Les premières 30 heures, il n’y avait pas de plan. Je n’ai pas dormi pendant trois à quatre jours. Je ne mangeais pas non plus, car j’avais toujours le goût de vomir.»
Le père de famille précise qu’il n’a parlé qu’une seule fois par FaceTime à sa femme, ses frères et ses enfants, puisqu’il ne «pouvait vivre avec ce stress et leur dire qu’il se pouvait qu’il ne revienne pas».
Trajet
L’athlète de 30 ans est parvenu à obtenir un billet pour prendre le train qui le mènerait à Lviv. Toutefois, un autre choix difficile s’est présenté à lui quelques temps avant l’embarquement qui était retardé.
«Mon coéquipier qui devait prendre le train avec moi a reçu des nouvelles par téléphone, explique-t-il. On nous disait de ne pas embarquer dans le train, car on allait se faire mitrailler durant le trajet. J’avais l’impression de devoir faire le même choix à deux reprises: mourir ou mourir.»
Sherbatov a finalement décidé de prendre le train. Il n’a jamais fermé l’œil du trajet. Son périple ukrainien s’est terminé par 70 kilomètres d’autobus et une plus petite distance faite à la marche.
Une fois en Pologne, le Lavallois a passé près de 10 heures à l’extérieur dans le froid en compagnie d’un groupe de réfugiés. Il assure que ces gens sont maintenant devenus sa deuxième famille.
Retour
Eliezer Sherbatov est arrivé au Québec dans la nuit du lundi 28 février, retrouvant sa femme et ses deux enfants, dont le plus jeune qu’il n’avait encore jamais rencontré puisqu’il était né alors que son père compétitionnait en Ukraine.
«Ç’a été très calme comme retrouvailles, avoue-t-il. Habituellement, quand tu retrouves quelqu’un que tu n’as pas vu depuis longtemps, tu cries et tu es heureux. Là, c’était plus une émotion intérieure, un feeling. Ce n’était pas nécessaire de crier. Je vivais un soulagement.»
Depuis son retour, l’athlète pense énormément à ses coéquipiers qu’il tente suvent de contacter. Certains sont encore à Droujkivka et ne sont plus en contact avec leur famille.
«Je me sens très chanceux, estime le Lavallois. Toutes les étoiles semblaient alignées. Si nous n’avions pas voyagé pour ce match, je serais probablement encore pris à Marioupol. J’aurais été sans nouvelles de mes proches. En plus, j’avais amené mes deux passeports, ce que je ne fais jamais d’habitude, vu qu’on joue à l’intérieur du pays.»
Projets
Le résident de Sainte-Dorothée affirme qu’il a tout perdu ce qu’il avait avec lui en Ukraine. Il a donc «joué presque gratuitement» l’ensemble de la dernière saison de la Ligue de hockey de l’Ukraine.
Il va prendre encore un peu de temps pour se remettre de toute cette histoire, mais assure que le plan est de poursuivre sa carrière d’hockeyeur.
«Avec ce que j’ai vécu, j’ai réalisé qu’on peut mourir d’une seconde à l’autre, note l’ancien de la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Je sens donc que je veux vivre encore plus et faire ce que j’aime le plus possible. Le hockey est ma passion et je vais continuer.»
Un nouveau départ vers l’Europe est l’une des possibilités envisagées, mais il aimerait surtout obtenir une chance avec le Rocket de Laval, club-école des Canadiens de Montréal. Il se dit prêt à faire un camp d’essai pour montrer ce qu’il peut faire.
Une biographie sur l’histoire du Lavallois verra également le jour en novembre prochain. Son parcours atypique sera raconté dans les mots de l’auteure Anna Rosner. Un segment sur son expérience ukrainienne sera évidemment ajouté à l’ouvrage qui sera publié en français et anglais.