Toujours autant discrète qu’efficace, Carol Pagé a pris sa retraite sans tambours ni trompettes de la direction de Travail de Rue Île de Laval (TRÎL) après avoir dédié sa vie aux enfants et adolescents en difficulté, particulièrement ceux qui atterrissent dans la rue et pour qui elle a longtemps représentée le seul espoir de s’en sortir.
Carol Pagé a dirigé cet organisme favorisant le mieux-être des jeunes en difficulté de 12 à 21 ans durant 18 de ses 20 ans d’existence. Elle a rencontré 4000 jeunes par année, à l’écoute de leurs besoins, réussissant en moyenne à en sortir quelque 200 de l’itinérance.
En juin, la grande dame du communautaire a mené sa dernière assemblée générale annuelle.
«J’ai davantage de jeunes qui sont passés par ici et ont réussi à développer leur autonomie que le contraire, raconte-t-elle. Ils ont traversé leurs études, travaillent dans un milieu où ils sont appréciés à leur juste valeur et sont devenus de beaux adultes.»
Débuts ardus
L’organisme a fait du chemin depuis qu’il était casé rue Saint-Hubert, à Pont-Viau, dans un petit local prêté par une entreprise de recouvrement de toiture.
«La pérennité du TRÎL et ses projets (SAJE, SRA), qui font une différence déterminante dans la vie ces jeunes, demeure pourtant toujours un défi», mentionne Carol Pagé qui rêve encore que l’organisme reçoive enfin un financement récurrent de la Ville de Laval.
«Je suis convaincue que chaque jeune possède en lui la solution à sa situation, quelle qu’elle soit. Nous devons nous assurer plus que jamais de porter leur voix et donner place à leur réussite.»
– Carol Pagé
Aujourd’hui, l’équipe compte sept travailleurs sociaux, trois intervenants de milieu contribuant à différents programmes de prévention et trois personnes à la coordination.
Savoir durer et s’améliorer
«Au début, c’était surnaturel d’avoir huit travailleurs sociaux payés au salaire minimum pour couvrir l’entièreté de Laval, continue Mme Pagé, qui a connu trois virages structurels gouvernementaux majeurs avant d’en arriver à ce qu’on appelle aujourd’hui le Centre intégré de la santé et de services sociaux (CISSS). Maintenant, nous avons une équipe en santé et bien rémunérée. J’ai atteint mon premier objectif, celui d’atteindre une rétention d’au moins sept ans dans des conditions décentes.»
«Désormais, nous ne voulons surtout pas perdre l’essence du TRÎL, sa chaleur, sa solidarité et, surtout, sa volonté de croire que chaque jeune porte la solution en lui-même et qu’on peut y œuvrer ensemble, collectivement, souligne Denis Larue-Fréchette qui assume la direction de l’organisme du boulevard de la Concorde depuis avril. Carol a toujours été dans le projet commun, jamais l’individualisme, en pensant constamment au bien-être de la population lavalloise dans son ensemble.»
Des réussites
En 2001, une victoire a aidé à mieux rencontrer les besoins des 18 ans et plus, soit l’obtention du financement pour un local de milieu. Depuis l’inauguration de la Station des jeunes, en 2012, ces Lavallois sortant à peine de l’adolescence peuvent se retrouver entre eux au contact de travailleurs spécialisés.
«Cette période-là, de 18 à 21 ans, est encore très difficile pour ces jeunes en difficulté puisqu’ils se retrouvent du jour au lendemain en charge d’eux-mêmes avec des responsabilités», précise Carol Pagé.
En 2006, l’organisme va mener une large campagne de sensibilisation pour prévenir la prostitution juvénile et le recrutement par des gangs de rue. Une bande dessinée et des tournées seront à l’agenda durant trois ans. «Nous avions formé des intervenants aptes à identifier les jeunes filles vulnérables et les aider», précise Carol Pagé.
Mis en place bien avant la série de fugues d’adolescentes de l’hiver 2016, ce programme efficace sera pourtant abandonné faute de soutien gouvernemental.
Viser l’autonomie
Dernière grande réalisation, la transformation d’un espace en appartement pour de l’hébergement à moyen et long terme pouvant accueillir jusqu’à quatre jeunes de 18 à 21 ans.
«Ce logement provisoire à prix modique, intégré au projet SRA (stabilité résidentielle avec accompagnement), permet de favoriser une transition entre la rue et l’autonomie dans un encadrement sérieux, afin de lutter efficacement contre l’itinérance», spécifie Mme Pagé.
Encore présente
Bien qu’elle quitte ses fonctions au TRÎL, dont elle prépare tout de même le 20e anniversaire, Carol Pagé continuera de présider le conseil d’administration du centre d’hébergement communautaire L’Aviron et s’impliquer comme agente de mobilisation au Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec (ROCAJQ.
Née dans le vieux Rosemont, à Montréal, c’est en Gaspésie qu’elle va commencer son action en animant une maison de jeunes, à Gaspé, elle qui rêvait alors d’une carrière en technique forestière. La femme de 58 ans ira d’ailleurs se ressourcer dans ce coin de pays, à Barachois, durant l’été.
Constamment à l’écoute des enfants les plus malmenés, notons aussi que la travailleuse de rue avait passé 11 ans au Bureau Consultation Jeunesse de la 81e Avenue, dans Chomedey, avant d’être nommée au TRÎL, habitant le Vieux-Sainte-Rose au début des années 1990.
«Je suis fière d’avoir aidé Laval à augmenter son nombre de services et d’organisations pour les jeunes en situation d’itinérance. J’aime travailler dans cette ville. La culture de concertation y est exceptionnelle. Les gens échangent entre eux et ont vraiment à cœur le bien des citoyens pour lesquels ils travaillent», conclut Carol Pagé.