En 1992, la Ville de Laval mettait sur pied la Corporation Agriculture Laval (AGRIL), afin de remettre des terres en culture. Quel est le bilan, vingt ans plus tard?
Deux ans après le décret gouvernemental qui permettait l’exclusion, en 1990, de près de 5000 ha (40 %) de la zone verte lavalloise, l’AGRIL voyait le jour.
Déjà, la spéculation foncière des années 1950, 1960 et 1970 avait façonné le territoire agricole de la région: 810 ha, soit 12 % des 7000 ha de la zone agricole permanente, avait été morcelés en petits lots, rapportait René Hubert, directeur de projets chez Municonsult, en 1998, dans la revue Municipalité, publiée par le ministère des Affaires municipales.
L’AGRIL devait rééquilibrer la donne, en favorisant le remembrement et la remise en culture des terres inexploitées et morcelées.
Surtaxe
En 1996, la Ville de Laval obtient de Québec le droit d’imposer une surtaxe sur ce type de lot. Cette mesure fiscale devient le levier principal de la Corporation. Elle permet de constituer un fonds de remembrement agricole et d’honorer, par exemple, les frais de notaire liés aux transactions.
L’AGRIL joue un rôle d’intermédiaire entre les propriétaires privés ou publics et les producteurs agricoles. Elle facilite les transactions entre les parties et procède elle-même à des acquisitions ou à l’aliénation de terrains de la zone verte, afin de favoriser leur remembrement à des fins d’exploitation agricole. Dans ce dernier cas, les propriétés s’ajoutent à une banque de terrains, à partir de laquelle sont reconstituées des unités suffisamment grandes pour être cédées à des producteurs et cultivées.
Selon les chiffres fournis par la Ville, l’AGRIL a permis de récupérer 2386 lots, pour une superficie totale de 278,2 ha, de 1998 à 2011.
Il est important de préciser que de ce total, seulement 993 lots, s’étalant sur 58,5 ha, ont été véritablement récupérés par des agriculteurs. Les 1393 autres terrains comptabilisés (219,7 ha) «ont été récupérés par l’AGRIL et Ville de Laval», indique la porte-parole de la Ville, Nadine Lussier.
Ces lots ont été versés à la banque de terrains voués au remembrement agricole. L’importance des superficies colligées s’explique en partie par des reprises de terrains pour non-paiement de taxes, en zone agricole. «C’était une pratique, à un certain moment», valide Mme Lussier.
Alarme
Malgré ces statistiques optimistes, le Conseil régional de l’environnement (CRE) de Laval rendait publiques, il y a quelques semaines, les conclusions de son étude suggérant que les pressions spéculatives n’avaient pas lâché du lest. L’organisme sonnait l’alarme: 49 % (3403,3 ha) du territoire agricole de l’île Jésus n’appartient plus aux agriculteurs.
Parmi ces lots, 812,7 ha ― une superficie similaire à celle signalée par Municonsult en 1998 ― sont subdivisés en 3733 petits lots prêts à être développés, soulignait le CRE. Dans plusieurs cas, des terrains détenus par la Ville tiennent lieu de rues prêtes à desservir les futurs développements.
Afin de refroidir les ardeurs des spéculateurs, le CRE de Laval, appuyé par le CRE de Montréal, Nature Québec, la Fondation David Suzuki et la Fédération des producteurs maraîchers du Québec, demandait le gel, pour les 20 prochaines années, de la zone agricole.
Résultats décevants
L’AGRIL? «C’est une bonne idée à la base, mais ça n’a pas eu les résultats escomptés», estime le président de la Fédération des producteurs maraîchers du Québec et agriculteur de Saint-François, Normand Legault.
«On devrait avoir déjà récupéré le quart» des 812 ha, dit-il en pointant, sur la carte de Laval, les zones en jaune représentant les lots subdivisés.
Roger Paquette, également agriculteur de Saint-François et ex-membre de la direction de l’AGRIL, a d’abord sourcillé devant les données globales fournies par la Ville. «Ils poussent fort!» Une fois établie la part des terrains véritablement récupérés par des agriculteurs (993 lots totalisant 58,5 ha), le portrait lui semble plus réaliste.
Il explique que l’initiative a été fructueuse, les premières années. La Corporation visait alors de très petits lopins de terre de 0,05 ha ou moins.
«Ça marchait fort, surtout sur le rang St-Elzéar et sur le boulevard des Mille-Îles, entre la route 335 et le boulevard Sainte-Marie. Ensuite, ça s’est essoufflé. C’est un peu normal. Tous ceux qui voulaient se débarrasser de leurs terrains ont saisi l’occasion au début.»
Les propriétaires qui résistent aux transactions de gré à gré, malgré la surtaxe, souvent en bordure de la zone verte, espèrent toujours profiter un jour d’un dézonage. «C’est des terrains très difficiles à récupérer», dit Roger Paquette.