Le leader de l’opposition officielle, Michel Trottier, met en demeure le vice-président du comité exécutif et chef du Mouvement lavallois, Stéphane Boyer, de «cesser immédiatement l’utilisation sans droit du titre de «maire suppléant» de la ville de Laval dans toutes [ses] communications publiques et privées».
M. Trottier allègue que son vis-à-vis usurpe ce titre depuis plusieurs mois dans le but de mousser sa candidature à la mairie de Laval.
«Nous constatons que vous utilisez ce titre et les moyens de communication de la ville pour faire votre promotion à la veille de la campagne électorale», peut-on lire dans la mise en demeure reçue par M. Boyer le 13 septembre.
Citant l’article 56 de la Loi sur les cités et villes, Michel Trottier soutient qu’il incombe au conseil municipal de désigner un conseiller au titre de maire suppléant. À cet égard, il rappelle la résolution du 8 mars 2016 où le conseil avait adopté la recommandation du comité exécutif à l’effet de nommer son vice-président d’alors, David De Cotis, maire suppléant.
Position de la Ville
Deux versions s’affrontent.
D’un côté, le maire Marc Demers et la Direction générale opposent l’article 58 de la Charte de la Ville de Laval à l’article 56 de la Loi sur les cités et villes (LCV), affirmant que le premier a préséance.
L’article 58 se lit comme suit : Lorsque le maire est incapable d’agir ou la charge de maire devient vacante, le vice-président du comité exécutif exerce tous les pouvoirs du maire, sauf en ce qui concerne la nomination des membres du comité exécutif.
«La Charte de la Ville de Laval, selon l’article 58, confère de facto le titre de «maire suppléant» au vice-président du comité exécutif. Cet article de la Charte a préséance sur l’article 56 de la Loi sur les cités et villes. Ainsi, aucune résolution du conseil municipal n’est requise à cet effet.» Voilà ce que nous courriellait le Service des communications de la ville, le 21 juin.
Il aura fallu attendre près de deux mois et demi – après quatre relances par courriel – pour qu’on nous explique la raison pour laquelle, cinq ans plus tôt, l’ex-vp David De Cotis avait été désigné maire suppléant à la suite d’une résolution dûment adoptée à l’unanimité par les membres du conseil municipal. «En 2016, ce processus a été fait, mais cela n’était pas obligatoire», a-t-on fini par nous répondre le 1er septembre dernier.
Quant au principal intéressé, Stéphane Boyer s’en remet aux avis reçus du Service juridique de la municipalité qu’il dit avoir consulté deux fois plutôt qu’une, parfaitement conscient du processus démocratique qui avait été suivi au moment d’investir M. De Cotis des pouvoirs de cette charge. «J’ai toujours été de bonne foi et, surtout, je fais confiance à nos équipes d’avocats à la ville […] Je suis très à l’aise avec la situation», disait-il en entrevue au Courrier Laval le 14 septembre.
Avis juridique
De l’autre côté, Michel Trottier a en main un avis juridique daté du 23 juin signé par Me Guillaume Bourbeau, avocat œuvrant notamment en droit municipal au sein du cabinet Dunton Rainville.
Celui-ci reconnaît d’emblée qu’en temps normal, en vertu des principes d’interprétation généralement reconnus par la jurisprudence, une loi spécifique (la Charte de la Ville) doit primer sur la loi générale (la Loi sur les cités et villes).
Puis, il cite l’article 57.1 de la LCV: Les articles 52 à 57 s’appliquent à toute municipalité régie par la présente loi, même si une disposition de sa charte entrée en vigueur avant le 19 décembre 1968 abroge, remplace ou modifie, directement ou indirectement, l’un ou l’autre de ces articles.
«De par cet article, le législateur a exclu directement la possibilité pour une municipalité de créer des dispositions allant à l’encontre des articles 52 à 57 de la LCV, limitant ainsi la latitude et l’incidence qu’aurait normalement une loi spécifique, analyse-t-il. Ce faisant, il est évident que l’article 58 de la Charte contrevient directement à l’application des dispositions de la LCV».
Il précise: «L’article 58 de la Charte a été adopté en 1965 puis modifié officiellement le 30 octobre 1996, alors que l’article 57.1 de la LCV est entré en vigueur le 8 mai 1996, soit quelques mois auparavant. Cela signifie donc que, par-delà la discordance flagrante existant entre ces deux dispositions, l’article 58 de la Charte pourrait potentiellement être invalidé puisqu’illégal.»
Me Bourbeau conclut ainsi son avis juridique: «Dans le contexte d’un conflit d’application entre l’article 58 de la Charte et l’article 56 de la LCV, il est évident, à la lumière de l’article 57.1 de la LCV, que l’article 58 est inapplicable étant donné que la LCV prévoit spécifiquement que la Charte d’une municipalité ne peut prévoir de dispositions allant à l’encontre des articles 52 à 57 de la LCV.»
Prévisible
La présente mise en demeure ne surprendra aucun habitué des assemblées du conseil municipal puisque le statut de maire suppléant de Stéphane Boyer y retient l’attention depuis le mois de juin.
À la séance d’ajournement du conseil tenue le 2 juin, Michel Trottier soulevait pour la première fois le problème en déposant un avis de proposition à quatre volets, qui allait être débattu le mois suivant pendant plus d’une vingtaine de minutes avant d’être battu à 12 voix contre 3.
Lors d’échanges nourris entourant la demande à l’effet de régulariser la situation de M. Boyer par l’adoption en bonne et due forme d’une résolution approuvée par l’ensemble des élus, le maire Demers a notamment déclaré: «La Charte de la Ville de Laval est très, très limpide: il appartient au maire de nommer qui il veut au comité exécutif et comme vice-président et maire suppléant. Il n’appartient pas au conseil municipal [ni] à la Direction générale.»
M. Trottier persiste et signe, faisant alors valoir un avis juridique émanant d’un «cabinet privé, externe et indépendant». «M. Stéphane Boyer se prévaut d’un titre et de pouvoirs qu’il ne possède pas actuellement. L’information qu’on donne à la population, qu’on véhicule dans nos communications et qu’on envoie aux médias est fausse. Il faut que ça arrête […] Je vous confirme que ça n’en restera pas là.»
Dans sa mise en demeure, le chef de l’opposition officielle évoque des «manquements à plusieurs articles du Code d’éthique et de déontologie des élus de la Ville de Laval et de leurs employés», tout en se réservant «le droit de porter plainte […] en vertu des mécanismes prévus à la Loi sur l’éthique et a déontologie en matière municipale».
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