Si on connaissait le problème aigu des surverses et son impact sur l’environnement à Laval, on n’ignorait tout de l’ampleur du phénomène de dérivations des eaux usées qui, une fois acheminées à l’usine d’épuration, sont détournées de la chaîne de traitement pour prendre directement le chemin de la rivière.
Du moins, jusqu’à ce que la Chaire industrielle CRSNG sur l’eau potable de Polytechnique Montréal publie, l’an dernier, les résultats d’une étude mesurant l’impact des rejets d’eaux usées sur la dynamique de la pollution fécale à l’entrée de la station de traitement d’eau potable de Sainte-Rose.
Surprise
«Au départ, la recherche visait à évaluer l’effet des surverses sur la prise d’eau potable», commente Alain Saladzius, président de la Fondation Rivières qu’il a cofondée avec Roy Dupuis en 2002.
Mais rapidement, l’étude a mis en lumière les dérivations à l’usine d’épuration de Fabreville, située six kilomètres en amont de la station d’eau potable de Sainte-Rose, comme étant la principale source de contamination.
Menés sur une période de 561 jours, entre les mois de novembre 2016 et mai 2018, les travaux avaient recensé 148 épisodes de contournement, soit une dérivation tous les quatre jours. Ceux-ci se produisaient lorsque la capacité de traitement de la station de Fabreville (75 000 mètres cubes d’eaux usées par jour) était atteinte, habituellement lors de précipitations intenses ou de fortes fontes des neiges.
Eau potable de qualité
«Cela ne met pas nécessairement en péril l’approvisionnement en eau potable, rassure toutefois M. Saladzius. Le dosage de chlore ou d’autres équipements sont alors ajustés lors de pointes de pollution».
Même son de cloche de l’ancien directeur du Service de l’environnement de Laval, Jean Lavoie.
«On essaie de protéger le plus possible la qualité des eaux brutes qui arrivent dans les stations d’eaux potables, dit-il en soulignant la robustesse des stations de Laval dont celle de Sainte-Rose. Ce n’est pas l’idéal à long terme, mais la situation est sous contrôle.»
Incidemment, la Ville recevait le mois dernier une attestation 5 étoiles pour l’eau potable produite à ses stations de traitement de Sainte-Rose, Chomedey et Pont-Viau.
Dans le cas de Sainte-Rose, il s’agissait d’une 8e distinction successive remise dans le cadre du programme développé par Réseau Environnement.
«Laval ne lésine pas sur l’eau potable, convient le président de la Fondation Rivières, mais pour les eaux usées, c’est autre chose.»
3966 heures en 2019
Le phénomène de dérivation, on l’observe également aux usines d’épuration d’Auteuil et La Pinière.
En 2019, par exemple, le ministère de l’Environnement a recensé pas moins de 467 épisodes à Laval, dont près de la moitié à la station d’Auteuil, et ce, malgré les 2000 opérations de délestage effectuées en amont du réseau.
À raison d’une moyenne de 1,3 fois par jour, les eaux d’égout ont ainsi contourné une ou plusieurs étapes de la filière de traitement… quand elles ne passaient pas carrément à côté des usines.
La durée moyenne de ces contournements est de 8,5 heures pour un total annuel de 3966 heures, soit l’équivalent de 165 jours sans arrêt.
«On n’avait pas saisi l’ampleur du problème, reconnaît M. Saladzius. On prenait pour acquis que ce n’était pas critique».
Cela s’ajoute aux 10 738 heures de déversements recensés la même année par le Ministère, ce qui représente 613 jours en continue de rejets d’eaux d’égout non traités ou partiellement traités dans nos cours d’eau, l’an dernier.
Dernière de classe
En matière de dérivation, Laval est dernière de classe, affichant de loin le pire bilan des grandes villes du Québec. À titre d’exemple, Montréal en est complètement exempte.
Question d’alerter l’opinion publique et les décideurs, Fondation Rivières a compilé les données ministérielles des trois dernières années touchant l’ensemble des 870 stations d’épuration de la province. On y apprend que, bon an mal an, seulement une soixantaine n’ont pas la capacité suffisante pour traiter toutes les eaux qui y sont acheminées.
À Laval en 2017, 2018 et 2019, les 3 stations ont subi 1269 contournements dont la durée a totalisé 11 820 heures. Cela équivaut à 15 mois de dérivations continuelles.
Ingénieur civil en traitement des eaux usées et retraité de ministère de l’Environnement, Alain Saladzius estime que sur une base annuelle, les usines de Fabreville et La Pinière ont dépassé leur capacité (débit de conception) respective de 12 et 10 %. Quant à la station d’Auteuil, elle fonctionnerait à 99,6 % de sa capacité.
«Si les débits surversés étaient en partie acheminés à la station, le dépassement serait plus notable», souligne-t-il. Idem pour les eaux dérivées.
Devant un tel constat, il regrette de ne pas avoir pris part davantage au débat public, l’été dernier, entourant le controversé projet immobilier de l’île Gagnon et de Place Sainte-Rose qui impliquait, entre autres, l’ajout de 1700 unités de logement en amont de la station de production d’eau potable de Sainte-Rose.
Étapes contournées
À la station de Fabreville, entre 2017 et 2019, on note que 20 % des 538 dérivations ont été enregistrées au poste de pompage, porte d’entrée de la chaîne de traitement. Résultat, les eaux usées domestiques acheminées par les réseaux d’égouts souterrains se sont déversées directement dans la rivière des Mille Îles pendant 600 heures (25 jours).
Du côté de la station La Pinière, pendant cette même période, les 292 contournements ont tous été recensés avant la dernière et ultime étape qu’est la désinfection aux rayons ultraviolets.
À cet égard, M. Saladzius se désole de constater que, contrairement aux deux autres stations où la désinfection au rayonnement UV est en opération à l’année longue, cette étape ne fonctionne que six mois par année à La Pinière, du 1er mai au 31 octobre.
Cela signifie que ce procédé permettant de réduire à néant la charge bactériologique des eaux usées est déficient 97 jours sur 180, soit 47 % du temps. «C’est énorme et incroyable. Comment se fait-il que le Ministère ne bouge pas?» s’insurge-t-il.
Enfin, près de 60 % des dérivations à la station d’Auteuil surviennent également à cette sixième et dernière étape avant le rejet des eaux dûment traités dans la rivière des Mille Îles.
155 M$
En conclusion, le président de Fondation Rivières insiste pour que «Laval prenne action» et «mette à niveau» ses infrastructures.
«Il est important de savoir que le gouvernement [lui] a attribué 155,1 M$ en subventions dans le cadre du programme de la Taxe sur l’essence et de la contribution du Québec (TECQ), note-t-il en précisant que cette somme doit toutefois être entièrement dépensée d’ici le 31 décembre 2023. Il ne reste que trois ans pour compléter les travaux et la Ville n’avait toujours pas convenu [avec le ministère des Affaires municipales] de l’usage des montants en date du 31 septembre dernier. L’argent doit aller à des ouvrages de traitement de l’eau en priorité ou à des mesures de réduction des déversements.»
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