Pour la première fois au Québec, un spectacle de danse s’adressant aux plus jeunes sera disponible en audiodescription pour les personnes aveugles ou semi-voyantes à la Maison des arts de Laval.
Danse-Cité, en association avec la compagnie de danse Bouge de là, présentera, le dimanche 3 décembre, le spectacle Glitch avec l’audiodescription de Caroline Charbonneau.
À l’aide d’une application sur leur téléphone, les jeunes recevront en direct, dans leurs oreilles, une transcription de Glitch, ce mystérieux sous-sol de théâtre déserté, qui plonge le spectateur dans une étrange dimension où les lois défient la réalité.
L’objectif de Danse-cité était de rendre accessible ce médium d’art vivant encore très rarement offert sous ce format.
Les jeunes seront accompagnés avant le spectacle pour se familiariser avec les lieux et participer à des ateliers «tactiles»; ainsi qu’après la prestation pour faire un retour sur l’expérience avec l’audiodescriptrice.
Ça fait 3 ans que Danse-cité, qui soutient l’accessibilité en danse, décrit des spectacles, mais cela n’avait jamais été fait pour les jeunes.
Cette offre existe déjà dans plusieurs domaines, comme le théâtre et la télévision, mais reste encore presque inexistante en danse.
Défis de traduction
Caroline Charbonneau, audiodescriptrice, possède une maîtrise en danse. Aussi chercheuse en enseignement de la danse à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), elle s’intéressait déjà à l’accessibilité.
Caroline Charbonneau collabore avec Danse-cité depuis trois ans. Aucune formation en audiodescription de la danse n’existe pour le moment. C’est une formatrice de France qui lui a montré les rouages du travail.
Pendant un mois, elle a travaillé à peaufiner son texte de description avec l’aide de sa collègue Enora Rivière. Ce type de description diffère d’avec d’autres formes, car «en danse, il n’y a pas nécessairement de trame narrative et il n’y a pas de paroles».
«On ne peut pas se contenter de mentionner seulement ce que les personnes ne voient pas, car tout de l’œuvre passe par le visuel. Donc au lieu d’être très factuel, on doit aller un peu plus vers l’interprétation, leur ouvrir les portes de l’univers du chorégraphe», explique Caroline Charbonneau.
C’est un travail d’équipe entre les deux audiodescriptrices pour ne pas rester dans sa version personnelle du message qu’a voulu transmettre le chorégraphe. «On joue à l’équilibriste entre donner juste assez d’informations factuelles et juste assez d’interprétation sans que celle-ci ne soit fermée, pour que les personnes non-voyantes puissent se faire leur propre imaginaire», précise-t-elle.
Leurs expériences passées en danse les aident beaucoup dans ce travail. Dans ses études, Caroline Charbonneau a déjà analysé la danse plus en détail. «De l’avoir vécue, d’avoir fait beaucoup de danse […], on développe un regard particulier sur le mouvement et ça aide beaucoup dans l’écriture.»
Une particularité de ce public est qu’il a souvent un ressenti physique insoupçonné. C’est pour cela, que les participants vont marcher sur la scène avant le spectacle pour se représenter physiquement les lieux.
«De pouvoir marcher dans l’espace scénique, d’avoir un ressenti des dimensions, de pouvoir toucher aux éléments de décors, aux costumes, ça donne plus de clés pour compléter l’expérience sensorielle», raconte Caroline Charbonneau.
Elle souligne aussi que les spectateurs apprécient quand la description précise le lieu où se passe l’action sur la scène. Assis dans la première rangée, ils sont capables de ressentir la distance avec les artistes».
Limites
Pour Caroline Charbonneau, aucun spectacle n’est impossible à traduire. Elle avoue toutefois que les plus abstraits, où on présente plutôt la virtuosité technique, sont plus ardus à mettre en mots.
Quand les mouvements sont très complexes et rapides, les décrire donne du fil à retordre. Les descriptrices utilisent plusieurs procédés comme les mots-clés, les onomatopées ou encore des métaphores plus poétiques.
Les retours après-spectacles sont très positifs jusqu’ici, selon Caroline Charbonneau. «On leur fait vivre une expérience qu’ils ne vivent pas ailleurs». Pour les personnes qui sont devenues non-voyantes au cours de leur vie, «ça les reconnecte à quelque chose qu’ils ont déjà eu dans leur vie».
Pour les autres, c’est une révélation. Beaucoup d’aveugles connaissent déjà plusieurs technologies pour les aider, mais l’art vivant leur était encore resté inaccessible. «Si on n’a jamais été mis en contact avec ça, c’est dur de s’imaginer qu’on peut en avoir envie».
Ça semble néanmoins répondre à un besoin palpable alors que les premiers spectateurs des représentations décrites par Danse-cité, il y a trois ans, reviennent d’un spectacle à l’autre.