(Mis à jour: 17h25)
Le juge de la Cour du Québec Sylvain Lépine a acquitté l’ancienne conseillère municipale Isabella Tassoni dans les 24 heures suivant son procès pour une contravention à la Loi sur les élections et référendum dans les municipalités.
Le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) reprochait à Mme Tassoni, alors candidate aux élections, d’avoir contrevenu en novembre 2017 à l’article 283 de la Loi, qui interdit sur les lieux d’un bureau de vote toute forme de publicité et d’activité de nature partisane susceptible d’influencer le vote des électeurs.
Absence de preuve
«Aucun témoin n’a vu Mme Tassoni serrer une main d’un électeur, aucun témoin n’est venu rapporter les paroles prononcées par la défenderesse», écrit le magistrat dans un jugement rendu le 17 mai, ajoutant que la seule présence d’un candidat sur le terrain d’un bureau de vote n’entraîne pas une infraction selon la loi. «Il n’y a aucune preuve que la défenderesse a voulu inciter les gens à voter pour elle [alors que] la poursuivante invoque que sa seule présence emporte sa culpabilité», expose le juge. La preuve soumise à la Cour démontrait qu’Isabella Tassoni avait été vue à plusieurs reprises sur les lieux de vote et saluait des électeurs.
Le jour du scrutin, le 5 novembre 2017, Mme Tassoni avait été élue conseillère du district de Laval-des-Rapides, devançant par 161 voix le conseiller sortant et plaignant Pierre Anthian.
«Abus de procédure révoltant»
Le juge n’est pas tendre envers le DGEQ à qui il reproche le caractère abusif de la procédure intentée contre Mme Tassoni en 2021.
Dans sa décision, il souligne que «l’enquêteur au dossier a transmis à la défenderesse un courriel dans lequel il lui annonce qu’après consultation avec les juristes du DGEQ, aucune infraction ne serait déposée contre elle et qu’il ne voulait que la rencontrer à titre de témoin».
Or, le Directeur général des élections allait changer son fusil d’épaule pour engager une poursuite pénale après qu’Isabella Tassoni a décliné la rencontre.
«Cette décision constitue selon le Tribunal un abus de procédure inconvenant, révoltant et difficilement explicable dans les circonstances.»
Dans sa conclusion, le juge Lépine note par ailleurs qu’il est «fort surprenant que le maire [d’alors] Marc Demers qui est logiquement beaucoup plus connu et reconnaissable et ayant supposément fait la même chose, n’ai pas reçu de constat d’infraction». D’autant que le maire Demers – qui l’accompagnait à quelques reprises – était également visé dans la plainte initiale. «Il s’agit d’une procédure choquante de deux poids, deux mesures», enchaîne-t-il.
En 2017, Mme Tassoni faisait campagne avec Le Mouvement lavallois – Équipe Marc Demers dont elle était la candidate dans Laval-des-Rapides.
Une directive n’a pas force de loi
Le juge revient sur la directive émise à l’époque par la présidente du Bureau d’Élection Laval, Me Chantal Sainte-Marie. À la suite des appels et des plaintes reçus le 29 octobre 2017, jour du vote par anticipation, elle avait rédigé cette consigne en vue du scrutin général: «Aucun candidat, bénévole, agent officiel ou représentant ne sera toléré dans l’entrée, passage, corridor ou local de l’immeuble où sont établis les bureaux de vote, ainsi que sur les terrain, incluant les stationnements des bureaux de vote, beau temps, mauvais temps. Seuls les candidats pourront être présents sur le trottoir situé dans l’emprise de la voie publique et en face du bureau de vote. En l’absence de trottoir ou de bordure, ils pourront se tenir à l’intérieur d’une bande de terrain n’excédant pas cinq pieds à partir du passage de la rue, sans être sur le terrain du bureau de vote.»
«Cette directive n’a pas force de loi au sens du Code pénal, fait valoir le juge Lépine, qui rappelle que la loi a préséance sur une directive. Le législateur a intérêt à préciser sa loi si les candidats ne sont pas les bienvenus dans les bureaux de vote, à l’entrée ou sortie de ceux-ci, ou dans les terrains adjacents».
Jeudi après-midi, la porte-parole du DGEQ, Julie St-Arnaud Drolet, indiquait que le jugement de la Cour du Québec est sous analyse afin d’évaluer les motifs d’appel.
Tassoni soulagée
En entrevue au Courrier Laval, Isabella Tassoni s’est dite «soulagée», affirmant avoir toujours suivi les règles.
Celle qui, l’an dernier, avait enregistré un plaidoyer de non-culpabilité à l’infraction reprochée a qualifié de «perte de temps et d’argent» les procédures subies ces 12 derniers mois.
«Quand tout ça est arrivé, je sortais de l’université; je voulais juste faire des bonnes choses pour la communauté et les citoyens de Laval-des-Rapides. Je trouve ça juste un peu triste d’avoir vécu ça», souligne la diplômée de Concordia en sciences politiques.
Ce genre d’histoire n’est rien pour encourager les gens à s’impliquer en politique et contribue au cynisme envers la classe politique, soutient Mme Tassoni, qui en tient rigueur au plaignant Pierre Anthian. «Si j’étais si malhonnête, pourquoi il a travaillé pour moi pendant un an», glisse-t-elle au passage. En janvier 2019, dans les mois suivant sa défection du parti au pouvoir, Isabella Tassoni avait engagé M. Anthian afin qu’il la seconde dans son rôle d’élue de Laval-des-Rapides.
Cela dit, elle assure que l’intérêt qu’elle porte à la chose publique est toujours bien présent et qu’elle entend poursuivre son action politique.
Pourrait-elle être candidate aux prochaines élections provinciales? «Je ne dis pas oui et je ne dis pas non», avance-t-elle prudemment avant d’ajouter que «la porte n’est pas fermée». Puis, questionnée sur des rumeurs à l’effet qu’elle se présenterait pour le Parti libéral à Laval, Mme Tassoni n’a pas souhaité commenter.
Défaite aux dernières élections municipales, Isabella Tassoni est aujourd’hui attachée politique au cabinet du parti d’opposition Action Laval.
Anthian déçu
Quant à Pierre Anthian, il n’a pas caché sa déception face au jugement.
«[…] il va falloir que le juge s’explique sur le fait qu’on demande à tous les candidats de retirer leurs pancartes électorales autour des bureaux de vote les jours de scrutin (si un candidat n’est pas une pancarte vivante, alors je comprends rien à la publicité)», partage-t-il dans un courriel.
«Sauf qu’avec cette jurisprudence et en défiant l’autorité du DGEQ, le juge envoie un affreux message aux futurs candidats municipaux, provinciaux et fédéraux: leur présence sur les lieux du vote n’est pas interdite», ajoute celui qui prédit «un délirant Far West électoral avec des confrontations disgracieuses» lors des prochaines élections.
M. Anthian termine ainsi son courrier électronique: «Alors que je pensais qu’on avait volé mes élections en 2017, aujourd’hui c’est comme si je perdais mes élections une 2ème fois.»