On connait désormais les nombreuses objections soulevées par le Service de l’urbanisme qui justifiaient sa recommandation de rejeter la demande de changement de zonage du promoteur Michel Trudel visant à faire atterrir son controversé projet de la Cité du cinéma dans l’est de Laval.
Le Courrier Laval a obtenu copie d’un rapport de 16 pages classé confidentiel, signé par la directrice adjointe du Service de l’urbanisme, Nathalie Martin. Les experts, chargés de voir au développement harmonieux du territoire lavallois, y étayent l’avis selon lequel le site proposé est à éviter.
Or, le 5 juillet dernier, l’administration Boyer faisait fi de ce document étoffé, préférant se ranger du côté de la Direction générale et de Laval économique, favorables au projet.
À l’exception des deux conseillers de Parti Laval, tous les élus présents votaient en faveur du projet de règlement de zonage ciblant les terrains situés au quadrant sud-ouest de l’avenue Marcel-Villeneuve et de la rue de l’Harmonie, dans Saint-François.
«C’est la seule option à Laval, avait alors insisté le maire Stéphane Boyer au sujet de l’emplacement. Si ce n’est pas sur ce terrain-là, le projet ne se réalisera pas».
Évalué à plus de 200 M$, la Cité du cinéma, doublée d’un centre formation, créerait quelques centaines d’emplois, accueillerait jusqu’à 400 étudiants par année et générerait annuellement près de 4 M$ en revenus fiscaux dans les coffres de la Ville.
Course contre la montre
D’entrée de jeu, l’accablant rapport daté du 16 juin indique que «le requérant doit déposer une demande de permis complète et conforme le plus tôt possible avant l’entrée en vigueur du Code de l’urbanisme (CDU)» prévue cet automne.
Ce sentiment d’urgence, voire la vitesse à laquelle le dossier a cheminé depuis le dépôt de la demande initiale le 2 mai dernier, vient d’ailleurs teinter l’ensemble de l’analyse défavorable au projet contenue dans le rapport URB-2022-2165.
À plusieurs reprises, le Service de l’urbanisme note le manque d’information disponible quant aux différents enjeux que pose l’implantation de ce complexe de studios de cinéma sur un site de deux millions de pieds carrés essentiellement voué, jusque-là, au développement domiciliaire.
«[…] nous ne disposons pas d’informations tangibles afin de confirmer que ce projet ne sera pas une source de nuisance» dans ce secteur à prépondérance résidentielle, écrit-on.
De la même façon, l’Urbanisme n’est pas en mesure d’évaluer quel sera l’impact sur le secteur résidentiel, qui demeure la «fonction dominante» de l’affectation «Urbaine» inscrite au Schéma d’aménagement et de développement révisé (SADR) pour les lots visés.
«Les impacts potentiels identifiés par les différents services de la ville sont insuffisamment documentés par le requérant», peut-on lire à propos notamment des activités de tournage et d’assemblage de décor dans les cours extérieures du bâtiment.
Quant au trafic induit que cela provoquerait sur l’avenue Marcel-Villeneuve, il est précisé qu’«une étude de circulation a été demandée au requérant, mais n’a pas encore été fournie [en date du 16 juin]».
Îlot de chaleur
Le Service de l’urbanisme note par ailleurs l’absence de stationnement souterrain.
«Les bonifications de verdissement proposées par le requérant […] semblent insuffisantes pour atténuer l’effet «îlots de chaleur» que [le projet] risque d’engendrer». À cet égard, près de la moitié du site serait asphaltée, soit l’équivalent d’un million de pieds carrés d’aire de stationnement, apprend-on.
Un élément qui détonne avec la planification du secteur Val-des-Ruisseaux, là où s’implanterait la Cité du cinéma . «Le projet proposé est à l’image d’un développement urbain lié à l’automobile, et ce, en périphérie à la fois d’un futur écoquartier exemplaire et de la zone agricole permanente», fait-on remarquer.
Problématique et enjeux
En raison de son imposant gabarit et des contraintes de confidentialité imposées par l’industrie cinématographique, le projet alors à l’étude impliquait la suppression de la principale rue collectrice continue (avenue Huguette-Gaulin) projetée dans l’axe nord-sud devant relier le boulevard Lévesque à l’avenue Marcel-Villeneuve. «La relocalisation du lien direct nord-sud a des conséquences sur un projet d’école, un projet de parc [d’importance] et sur la mobilité dans le secteur», souligne le rapport.
Selon le Service de la culture, des loisirs, du sport et du développement social (CLSDS), cela entraînerait «un glissement dans l’échéancier» de l’école de quartier, dont la livraison est attendue par le Centre de services scolaire de Laval en 2024.
Le Service des immeubles, parcs et espaces publics fait valoir pour sa part que «la localisation du futur parc est connue des promoteurs et résidents depuis longtemps et un changement de portée majeure pourrait créer des insatisfactions».
Quant au Bureau de la mobilité, il soutient que «cette rue est nécessaire afin de conserver la perméabilité de la trame de rue et l’efficacité d’un réseau local de transport en commun».
Autre écueil: le tracé de rue prévu à l’est du projet empiéterait sur le terrain de la caserne de pompiers, et ce, au détriment des «aménagements paysagers et espaces verts», lesquels ont contribué à l’obtention d’une «certification LEED Or» pour ce bâtiment inauguré en 2019, ne manque-t-on pas de rappeler.
Toujours selon le rapport, le fait de convertir de résidentiel à industriel 60 % du site «pourrait impacter les futures zones résidentielles au sud du projet».
Peu d’ouverture
Également, il semblerait que le promoteur n’ait pas démontré un grand intérêt face aux propositions de la Ville qui cherchait à améliorer le projet en termes d’acceptabilité sociale, d’implantation, d’aménagements et d’intégration harmonieuse au secteur et au futur quartier résidentiel plus au sud, précise-t-on.
«Des projets d’inspiration lui ont été transmis afin d’illustrer comment tendre vers une meilleure compatibilité au SADR. Cependant, aucun plan bonifié n’a été soumis dans le délai prévu pour la présente analyse au CCU [Comité consultatif d’urbanisme]», indique le rapport.
M. Trudel, qui a cofondé les Studios MELS à Montréal, fait valoir que le projet tel que présenté répond aux standards de l’industrie au sein de laquelle il œuvre depuis 40 ans et qu’il «ne peut être opéré différemment».
«Bien que la localisation dans le secteur soit en périphérie des développements existants et futurs et que le projet pourrait représenter un pôle d’emploi, nous émettons des réserves et sommes d’avis que dans sa forme actuelle, il serait davantage compatible dans une autre affectation», ajoute le Service municipal en citant les affectations de type commerciale régionale et industrielle.
Aucune démarche d’acceptabilité sociale
Enfin, le Service de l’urbanisme se fait très critique envers la Ville en plus d’y aller d’une sérieuse mise en garde à la toute fin de son rapport déposé à la mi-juin.
«Pour un projet de construction de cette ampleur, aucune démarche d’acceptabilité sociale en amont n’a été entreprise auprès des citoyens du secteur concerné et nous pressentons une vive opposition à son implantation, laquelle risque d’avoir des répercussions non négligeables pendant plusieurs années». Parmi ces dommages collatéraux appréhendés, la perte de confiance des citoyens envers la Ville et une opposition systématique à tout nouveau projet de développement dans ce secteur.
Rappelons que dans la foulée de l’adoption du projet de règlement de zonage, le processus d’approbation référendaire a rapidement été enclenché, suivi d’une pétition signée par 131 personnes habiles à voter qui réclamaient la tenue d’un référendum. Au même moment, l’équipe derrière la Cité du cinéma amassait 178 signatures de citoyens renonçant au scrutin référendaire, ce qui allait mener à l’annulation in extremis de la procédure d’enregistrement qui devait avoir lieu le 20 août dernier.
Depuis, des contestataires ont demandé à la Commission municipale du Québec (CMQ) de vérifier la conformité du Règlement – autorisant le changement de zonage – à l’égard du Schéma d’aménagement de la Ville de Laval, lequel a été révisé en 2017. Une décision sera rendue d’ici la fin du mois de novembre. (Réactions à venir)
À lire également: Cité du cinéma: 33 % des gens habiles à voter ont décidé pour la majorité