«Nous voulons expliquer le processus d’engagement dans les activités de prostitution en leur détaillant chaque cycle, de confier le tandem formé par Mylène Langevin et Mélissa Carrera, qui visitera les unités de filles du Centre jeunesse de Laval. Il faut démystifier le prince charmant qui arrive les poches pleines d’argent pour gâter la fille et l’entraîner progressivement dans son jeu d’anticipation des avantages (argent rapide, liberté) et l’impliquer dans son milieu.»
Mélissa Carrera et Marlène Langevin ont travaillé durant un an sur cette approche inspirée d’un programme semblable de la Gendarmerie royale du Canada.
Étapes d’un engrenage
Après avoir entrepris de désinhiber ou désensibiliser la jeune fille, la manière douce étant le concours de T-shirts mouillés et la violente étant le viol collectif, le souteneur mise sur l’amour que lui porte sa proie pour lui présenter un premier client, puis un autre et ainsi de suite, prétendant souvent qu’elle doit l’aider à éponger de lourdes dettes.
Il lui confisque passeport et carte d’assurance-maladie pour la rendre totalement dépendante de ses largesses. Une lune de miel s’installe jusqu’à survienne une situation de crise: violence conjugale, grossesse non désirée, infection transmise sexuellement ou surdose de drogue. La plupart du temps, un incident grave, où la jeune fille craint pour sa vie, provoque une coupure et un arrêt des activités. La victime n’en demeure pas moins encore attachée à son proxénète.
«À ce moment, la jeune fille retourne souvent au Centre jeunesse dont le personnel fait une grande partie de la prise de conscience, observent les deux policières, qui espèrent pouvoir présenter cet atelier dans les écoles. Nous aimerions semer une graine chez ces jeunes filles afin qu’elles gardent ce schéma en tête.»
Anciennes victimes à la rescousse
Cet atelier s’ajoute au volet lavallois Les Survivantes que pilotent Mélissa Carrera et Marlène Langevin. Une Survivante est une fille qui a déjà vécu l’exploitation sexuelle. Elle doit s’être sortie du milieu, avoir porté plainte contre son souteneur et ne pas avoir de dossier criminel. Il y en a sept sur le territoire de Laval et Montréal.
Ces femmes peuvent offrir leur témoignage devant des policiers, enquêteurs et patrouilleurs pour détruire certains mythes et encourager une meilleure intervention sur le terrain. «Les perceptions changent ensuite, de dire Marlène Langevin. Quand une fille t’envoie promener sur la rue, c’est qu’elle n’a peut-être pas le choix.»
Sinon, l’action des Survivantes se porte beaucoup vers des rencontres individuelles. La jeune fille rencontrée doit participer sur une base volontaire et être prête à écouter.
«Ces filles en ont assez enduré sans devoir se faire envoyer promener, précise Mélissa Carrera. Nous choisissons une Survivante qui correspond à ce que vit la victime. Faut vraiment qu’elle se voit dans l’autre.»
Depuis son implantation en sol lavallois, il y a quatre ans, le programme rejoint en moyenne une soixantaine de cas chaque année, allant de l’adolescente de 13 ans à la femme de 27. Aucun chiffre n’existe quant au nombre réussissant à s’en sortir.
«N’empêche que récemment, nous tenions un kiosque au Carrefour Laval et une femme nous a reconnues, relate le tandem Carrera et Langevin. Elle était fière d’avoir tourné la page et nous a remerciées, nous disant que c’est cette rencontre qui avait fait la différence pour elle.»