Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a déposé son 49e rapport au Parlement cette semaine.
Le document comprend trois enquêtes nationales, y compris des mises à jour sur les expériences et les résultats des personnes noires et autochtones en détention fédérale, ainsi qu’un examen des conditions et pratiques d’isolement restrictives depuis l’élimination de l’isolement cellulaire en 2019.
Lors de sa conférence de presse, l’enquêteur correctionnel, le Dr Ivan Zinger, a mis l’accent sur la situation des prisonniers noirs au Canada, qui sont nettement surreprésentés dans les services correctionnels fédéraux.
«Aujourd’hui, je publie une mise à jour de l’enquête historique menée par le Bureau en 2013, qui se penche sur les expériences vécues par les prisonniers noirs en milieu carcéral fédéral, de déclarer Dr Ivan Zinger, par voie de communiqué. Je suis très déçu de constater que les mêmes problèmes et obstacles systémiques identifiés il y a près de dix ans, notamment la discrimination, les stéréotypes, les préjugés raciaux et l’étiquetage des prisonniers noirs, restent aussi répandus et persistants qu’auparavant. En fait, la situation des Noirs derrière les barreaux au Canada aujourd’hui est aussi mauvaise et, à certains égards, pire qu’en 2013.»
Constats
Le rapport de l’enquêteur correctionnel montre que les prisonniers noirs obtiennent des résultats disproportionnellement moins bons sur les mesures clés de l’administration des peines.
Plus précisément, l’enquête a révélé que les prisonniers noirs sont surreprésentés dans les établissements de sécurité maximale.
En tant que groupe, les personnes noires ont tendance à purger une plus grande partie de leur peine derrière les barreaux à des niveaux de sécurité plus élevés avant de passer à des niveaux de sécurité moindres.
Également, les personnes noires sont plus susceptibles d’être impliquées dans un incident de recours à la force, quel que soit le niveau de risque ou de sécurité, l’âge, la durée de la peine ou le sexe.
Les prisonniers noirs sont aussi surreprésentés dans les transferts involontaires. Ils font l’objet de placements plus fréquents et de durées plus longues dans des unités d’intervention structurées.
De plus, ils font l’objet de plus d’accusations pour des infractions aux règles de l’établissement et sont plus souvent désignés comme affiliés à un groupe menaçant la sécurité.
Malgré des taux de récidive globalement plus faibles et de réincarcération plus faibles, les personnes noires sont plus susceptibles d’être évaluées comme présentant un risque élevé, une faible motivation et un faible potentiel de réintégration.
L’enquêteur correctionnel a souligné que ces constatations ne sont pas nouvelles, qu’elles ont déjà été documentées et que, par conséquent, le Service correctionnel aurait dû y donner suite., apprend-t-on dans la communication aux médias ayant suivie le dépôt du rapport.
Il a souligné qu’en 2016, le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine des Nations Unies a fait référence aux conclusions antérieures du Bureau et les a approuvées, tout comme le Comité sénatorial permanent des droits de l’Homme, en 2019 et à nouveau en 2021.
En d’autres termes, le Service a eu amplement le temps et l’occasion de s’attaquer aux résultats disproportionnellement mauvais pour les Noirs sous sentence fédérale.
Faits troublants
L’enquête a révélé de nombreux exemples où les prisonniers noirs sont traités de manière discriminatoire ou injuste par rapport au reste de la population carcérale, notamment en ce qui concerne les niveaux de rémunération des détenus, l’accès aux articles de soins personnels, les emplois intéressants en prison et les possibilités de libération anticipée. Les personnes noires interrogées dans le cadre de cette enquête ont systématiquement signalé l’utilisation à leur égard d’un langage dégradant ou raciste par le personnel du SCC, ainsi que le fait d’être ignorées ou méprisées d’une manière qui accroît les sentiments de marginalisation, d’exclusion et d’isolement.
Fait très préoccupant, les détenus noirs ont fréquemment déclaré avoir été étiquetés ou traités comme des membres de gangs par le personnel du SCC, même s’ils n’avaient pas d’affiliation officielle ou active à un groupe menaçant la sécurité.
Ils ont indiqué que le personnel du SCC les qualifiait de membres de gangs sur la base de divers facteurs plus ou moins pertinents, notamment le quartier où ils ont grandi, les personnes qu’ils fréquentaient dans leur quartier, leur présence au sein des groupes de Noirs qui se rassemblent, les vêtements qu’ils portent ou la façon dont ils interagissent avec les autres.
La tendance à considérer les comportements, le langage, les interactions ou les antécédents par le biais des gangs est particulièrement préjudiciable, car elle rend difficile le passage à des niveaux de sécurité inférieurs, l’obtention d’un emploi intéressant en prison ou le soutien de l’équipe de gestion des cas assignée.
De plus, une fois qu’une personne est affiliée à un gang, il est presque impossible de faire disparaître cette affiliation, car le SCC offre peu de possibilités et de ressources pour rendre effective une désaffiliation.
«Malheureusement, la discrimination raciale et les préjugés continuent de suivre les Noirs dans les prisons fédérales», d’affirmer le Dr Zinger dans cette sortie publique.
«Les besoins des personnes de noires sont à la fois uniques et ancrés dans un contexte historique et une expérience du racisme et de la discrimination dans la société canadienne. Au niveau le plus élémentaire, le système correctionnel ne doit pas servir à perpétuer les désavantages. Je demande au Service correctionnel de se pencher sur les expériences uniques vécues par les personnes noires en détention fédérale et de travailler en partenariat étroit avec les groupes communautaires noirs, les intervenants et les experts afin d’élaborer et de mettre en œuvre les changements indispensables pour les prisonniers noirs», a-t-il ajouté.
Autochtones
Le rapport du Dr Zinger comprend également la première d’une enquête de suivi en deux parties d’un rapport spécial qui a été déposé au Parlement en 2013 et intitulé Une question de spiritualité: Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
La première partie de cette enquête indique que la surreprésentation des Autochtones dans les établissements pénitentiaires fédéraux s’est accélérée et que les disparités entre Autochtones et non-Autochtones se sont accentuées.
Les Autochtones entrent de plus en plus tôt dans le système, passent beaucoup plus de temps derrière les barreaux et retournent dans les établissements pénitentiaires fédéraux à un rythme sans précédent comparativement aux personnes non-Autochtones.
«D’une année à l’autre, les prisons canadiennes sont remplies par des Autochtones qui sont pris dans la proverbiale porte tournante, subissant des situations plus graves à l’intérieur, avec peu d’options viables pour sortir et demeurer à l’extérieur», a souligné le Dr Zinger, via communiqué, avant de poursuivre:
«J’aurai plus à dire sur ces questions une fois l’enquête terminée, mais pour l’instant, il semble qu’au plus haut niveau, le SCC n’accepte pas l’idée qu’il ait un rôle ou une influence quelconque dans la résolution de la crise perpétuelle de la surreprésentation autochtone dans les prisons canadiennes. Une culture organisationnelle et un système pénitentiaire qui résistent au changement ne peuvent que contribuer à maintenir les peuples autochtones marginalisés, criminalisés et en surreprésentation dans la population carcérale.»
18 recommandations
Le rapport annuel 2021-2022 formule 18 recommandations au total, dont huit visant à améliorer la vie et les résultats des prisonniers noirs.
Le Dr Zinger a renouvelé l’appel de son bureau pour la nomination d’un commissaire adjoint pour les services correctionnels autochtones et a recommandé que le SCC soit associé dans l’élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie en matière de justice autochtone du ministère de la Justice du Canada.
Les autres recommandations d’importance nationale sont les suivantes:
- Interdire tout placement de durée illimitée en cellules sèches au-delà de 72 heures.
- Mettre à jour la stratégie nationale antidrogue du SCC de 2007, qui continue de promouvoir une approche de tolérance zéro à l’égard des drogues derrière les barreaux.
- Donner la priorité à l’examen en cours du processus de classification de sécurité, en particulier en ce qui concerne les femmes autochtones.
- Abroger le système discriminatoire de niveau de mouvement pour les femmes dans les établissements de sécurité maximale.
- Fournir des options de logement aux femmes hébergées dans les unités de sécurité et travailler à la fermeture éventuelle de ces unités.
- Revoir les exigences du Programme mère-enfant ainsi que ses critères d’admissibilité, en vue d’en accroître l’accès et la participation et d’en supprimer les obstacles, en particulier pour les mères autochtones.
- Équiper les véhicules de transport des prisonniers, y compris ceux actuellement en service, de ceintures de sécurité, de poignées et d’autres dispositifs de sécurité et de garde-fou. (B.L.)