Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), la hausse des taux d’intérêt a entraîné l’an dernier une baisse de 30 000 mises en chantier.
Dans son dernier article paru dans l’Observateur du logement de la SCHL, l’économiste en chef adjoint à l’agence fédérale du logement, Aled ab Iorwerth, analyse l’incidence des taux d’intérêt sur tous les différents types de logements et explore le rôle crucial du secteur privé dans la stimulation de l’offre de logements.
Le Courrier Laval reproduit ici l’intégralité de l’article.
Tandis que la hausse des taux d’intérêt freine les mises en chantier à court terme, le Canada est aux prises avec une grave pénurie de logements à long terme.
Le 3 octobre 2024
Comment le Canada peut-il construire assez d’habitations pour surmonter les problèmes de l’offre de logements et améliorer l’abordabilité? Vu la demande en forte expansion et les taux d’intérêt qui font obstacle aux projets de construction, la réponse est loin d’être simple.
Le présent article aborde le rôle crucial du secteur privé dans l’accroissement de l’offre de logements et l’incidence des taux d’intérêt sur différents types d’habitations. Il décrit aussi des solutions potentielles à long terme qui pourraient renforcer la confiance du secteur privé et favoriser l’injection de capitaux dans la construction résidentielle.
Il faut de toute urgence construire beaucoup plus de logements pour remédier aux problèmes d’abordabilité dans de nombreuses villes du Canada. Le logement est une infrastructure essentielle à l’économie, car il favorise la mobilité de la main-d’œuvre et permet d’investir une part accrue du revenu dans du capital productif.
Les problèmes de longue date liés aux coûts et aux retards réglementaires sont des obstacles importants à la croissance de l’offre de logements. L’augmentation de l’offre nécessitera aussi la formation d’un nombre accru de travailleurs et l’amélioration de la productivité des secteurs de la promotion immobilière et de la construction.
À court terme, toutefois, les taux d’intérêt élevés ont été particulièrement néfastes pour l’offre de logements. Selon notre modélisation, ils ont fait diminuer le nombre de mises en chantier d’environ 30 000 au Canada en 2023 (baisse d’environ 10 à 15 %).
Nous avons résumé l’état de l’offre de logements dans notre récent Rapport sur l’offre de logements. Nous y soulignons que la hausse des taux d’intérêt a nui à la construction d’immeubles de logements en copropriété dans la majeure partie du pays (sauf en Alberta).
Nous demeurons préoccupés par le fait que les mises en chantier à Toronto ne reflètent pas encore pleinement l’incidence de la hausse des taux d’intérêt. Les effets décalés de l’augmentation des taux continueront sans doute à se faire sentir. Cependant, la tendance à la baisse des taux d’intérêt devrait stimuler l’offre de logements durant la prochaine année. Il faut saisir cette occasion pour poursuivre les efforts visant à soutenir la croissance de l’offre de logements.
Le secteur privé est au cœur de l’augmentation de l’offre et de l’amélioration de l’abordabilité
La majeure partie de la croissance de l’offre de logements dont le Canada a besoin doit provenir du secteur privé.
Les petits investisseurs fournissent une grande part du financement qui permet la construction d’appartements en copropriété.
Les promoteurs obtiennent des fonds auprès des acheteurs potentiels qui pourraient occuper ces logements ou les louer. Les acheteurs, eux, doivent emprunter de l’argent. Si ce n’est pas pour leur mise de fonds, ce sera presque certainement pour payer leur logement une fois qu’il sera achevé.
Ainsi, la volonté des acheteurs et des investisseurs d’emprunter dictera la construction d’immeubles de copropriétés. Les promoteurs iront de l’avant avec leurs projets de construction si environ 70 % des appartements sont vendus sur plan. Les appartements en copropriété sont devenus une part essentielle de l’offre de logements locatifs à Toronto et à Vancouver.
Les grands investisseurs sont aussi indispensables à l’apport de fonds en vue de la construction de grands immeubles de logements destinés à la location. Les coûts de la construction de ce genre d’ensemble résidentiel ‒ plusieurs millions de dollars ‒ sont ultimement assumés par les locataires, au fil du temps. Ces dépenses initiales doivent cependant être payées avant que les revenus de location commencent à entrer.
Pour gérer ce décalage, les institutions financières interviennent en octroyant des prêts pour couvrir les coûts actuels en attendant les rentrées de fonds à venir. Toutefois, ce mécanisme de financement fait que la décision de procéder à la construction dépend davantage des taux d’intérêt et de la volonté des institutions financières à offrir du crédit.
Les investisseurs privés dans le secteur du logement, qu’ils soient petits ou grands, sont facilement affectés par les fluctuations macroéconomiques. Cette vulnérabilité indique qu’il est essentiel d’assurer des flux continus d’investissement à long terme afin d’accroître l’offre de logements.
Que révèlent les données?
Il est clair que l’offre de logements est très influencée par les taux d’intérêt, mais elle l’est de différentes façons.
Les mises en chantier de copropriétés dépendent des taux d’intérêt offerts aux acheteurs, et celles de logements locatifs, des taux d’intérêt des sociétés d’investissement. Les taux des prêts hypothécaires à long terme proposés aux investisseurs individuels ont augmenté de près de cinq points de pourcentage. Les taux des obligations à court terme, surtout susceptibles de toucher les sociétés emprunteuses, ont augmenté d’autant.
Les mises en chantier de copropriétés ont chuté récemment, car les investisseurs individuels ont réagi rapidement à l’évolution des taux hypothécaires.
Nous avons réalisé une modélisation pour évaluer le nombre de logements nécessaires afin de répondre aux besoins au Canada. Elle nous a permis d’estimer que la récente hausse des taux d’intérêt – sans compter d’autres changements économiques – a fait diminuer les mises en chantier de 30 000 sur une moyenne annuelle d’environ 250 000.
L’effet des taux d’intérêt a été contrebalancé par d’autres facteurs économiques et par des politiques gouvernementales visant à soutenir la construction d’immeubles locatifs partout au Canada. En Alberta, la construction est demeurée plus forte que prévu en raison de la vigueur de l’économie.
Conséquences à long terme pour l’offre de logements au Canada
Ces 20 dernières années, le Canada a accumulé un déficit structurel dans l’offre de logements qui ne peut être corrigé que par des investissements massifs du secteur privé. Ce dernier fournit environ 95 % des logements au Canada. Le secteur privé a donc un rôle particulièrement important à jouer dans la résolution des problèmes liés à l’abordabilité du logement pour la classe moyenne. C’est vrai tant pour les logements locatifs que pour les logements de propriétaire-occupant.
Malheureusement, cela signifie de devoir compter sur un secteur qui n’est pas à l’abri des changements dans l’économie, y compris la fluctuation des taux d’intérêt. Tous les ordres de gouvernement doivent s’assurer que le secteur privé peut construire le plus de logements possible lorsque le contexte est favorable et que les taux d’intérêt sont bas.
En pratique, il faudra améliorer la réactivité du système de logement, notamment en accélérant les délais d’approbation et en réduisant l’incertitude.
Il pourrait falloir établir des cadres pour que la construction puisse se poursuivre même lorsque les taux d’intérêt sont élevés. Récemment, le gouvernement a annoncé qu’il mettra sur pied un groupe de travail pour étudier les occasions d’investissement au pays pour les caisses de retraite canadiennes. De toute évidence, il sera important de trouver des moyens de consacrer des capitaux patients à long terme à la résolution de la pénurie de logements qui persiste au Canada.
Au bout du compte, bâtir un avenir où tout le monde a accès à un logement abordable nécessite un effort collectif. Les taux d’intérêt élevés demeurent un obstacle à court terme, mais ils nous permettent de tirer des leçons importantes pour nous tous. Si nous voulons nous attaquer à la crise du logement, nous devons envisager des moyens d’habiliter le secteur privé tout au long du cycle économique.
(Source : l’Observateur du logement de la SCHL; auteur Aled ab Iorwerth)