Arrêtée en 2009 pour ne pas avoir tenu la main courante d’un escalier mécanique alors qu’elle se rendait au centre-ville de Montréal à partir de la station de métro Montmorency, la Lavalloise Bela Kosoian a vu la Cour suprême lui donner raison 10 ans plus tard, le plus haut tribunal du pays jugeant que les policiers n’étaient pas autorisés d’agir ainsi en pareille situation.
Le juge en chef Wagner et ses confrères Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Brown, Rowe et Martin ont jugé que Mme Kosoian devait recevoir 20 000 $ pour le préjudice qu’elle a subi dans cette affaire de responsabilité civile découlant de l’accomplissement de gestes fautifs.
«Nous allons prendre connaissance du jugement rendu et en analyser les reproches et recommandations, avant d’aller plus loin pour l’instant», de déclarer la sergente Geneviève Major, porte-parole du Service de police de Laval (SPL). Les conclusions de la Ville de Laval, Société de transport de Montréal (STM) et du SPL pourraient amener des changements dans la pratique des policiers affectés aux trois stations de métro du territoire lavallois.
En mai 2009, Bela Kosoian est donc entrée dans la station Montmorency. Près de l’escalier mécanique, une affiche indique les mots «attention» et «tenir la main courante», ainsi qu’un pictogramme (un dessin) montrant une personne tenant la main courante, lit-on dans le jugement de cet appel accueilli par la juge Suzanne Côté et rendu public le 29 novembre.
Alors qu’elle descendait les marches métalliques vers le guichet, Mme Kosoian fouille dans son sac afin d’y trouver l’argent nécessaire à l’achat d’un billet, délaissant momentanément la rampe du métro.
À cet instant, l’agent Camacho, rattaché au SPL mais qui est alors désigné à titre d’inspecteur par la société responsable du réseau de métro, l’aperçoit et lui dit de tenir la main courante, ce qu’elle ne fait pas, «car elle n’estime pas être obligée de le faire », lit-on dans la décision de la Cour suprême.
Rendue au bas de l’escalier mécanique, l’agent Camacho l’empêchera de poursuivre son chemin et lui demandera de le suivre dans un local de confinement afin de lui remettre un constat d’infraction en raison de sa conduite.
Refusant de suivre le policier, puisqu’elle ne croit pas commis de faute, l’affaire se gâte quand l’agent Camacho et un collègue l’empoignent pour l’emmener dans ce local où ils lui demanderont de fournir une pièce d’identité. Bela Kosoian refusera et demandera plutôt à appeler un avocat.
«Un policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances n’aurait pas considéré que le fait d’omettre de tenir la main courante constituait une infraction»
– Extrait de la décision de la Cour suprême
Escalade
«L’agent Camacho dit à madame Kosoian qu’elle est en état d’arrestation. Les agents la menottent, les bras derrière le dos, et la forcent à s’asseoir sur une chaise. Ils fouillent son sac sans permission. Elle est agitée, mais se calme lorsque les policiers l’informent qu’il y a une caméra de surveillance dans la pièce. Ils lui remettent deux amendes totalisant plusieurs centaines de dollars: une amende pour avoir désobéi au pictogramme et une autre pour avoir empêché les agents de faire leur travail», est-il écrit ensuite dans le document officiel
Le lendemain, le conjoint de Mme Kosoian portera plainte auprès de la STM et demandera en vain les bandes vidéo; la STM effaçant automatiquement les bandes aux cinq jours. Un médecin confirmera ensuite que Bela Kosoian souffre de stress post-traumatique et d’une entorse au poignet en raison des événements.
Quelque temps plus tard, la Lavalloise sera acquittée par la Cour municipale, n’ayant pas à payer les amendes pour les constats d’infraction qu’on lui a remis. C’est à ce moment qu’estimant son arrestation était illégale, Mme Kosoian va intenter des poursuites envers l’agent Camacho, son employeur (Ville de Laval) et la STM, tous identifiés comme responsables.
Jugements différents
Toutefois, Bela Kosoiian sera déboutée par le juge du procès et les juges majoritaires de la Cour d’appel qui concluent que l’agent Camacho n’a pas commis de faute, compte tenu des informations dont il disposait et de la formation reçue.
Selon leur évaluation, Mme Kosoian aurait causé ses propres problèmes en refusant de coopérer. La Cour suprême a unanimement exprimé son désaccord avec ces conclusions et exonère maintenant la Lavalloise de tout reproche et blâme, insistant plutôt sur la formation inadéquate et incomplète fournie par la STM aux policiers travaillant dans le métro.
«Dans une société libre et démocratique, les policiers ne peuvent priver une personne des libertés qui lui sont reconnues que dans les cas où la loi dit qu’ils peuvent le faire. Les policiers doivent connaître la loi et agir dans les limites de celle-ci», conclut-on.