Les boîtes sont faites depuis quelque temps, les «trésors» récoltés lors des missions à l’étranger sont emballés ou incrustés dans la mémoire, la porte se referme. Les Sœurs missionnaires du Christ-Roy, installées au 4730, boulevard Lévesque O., à Chomedey, déménagent après 63 ans dans cette maison.
«Ça me fait une grande, grande peine, mais je comprends très bien que c’est une peine nécessaire. Nous sommes toutes vieilles, et il faut que quelqu’un prenne soin de nous», admet sœur Louisa Poirier, 87 ans.
Mme Poirier fait partie des 38 religieuses, sur un total de 42, qui prendront cette semaine le chemin de la résidence avec soins Les Pionnières, à Ville Saint-Laurent. Elles y rejoindront les membres d’autres congrégations féminines.
Quelques sœurs demeureront à Laval et poursuivront leurs activités au sanctuaire du Sacré-Cœur, à l’église Saint-Maxime.
L’autre pandémie
Depuis 1957, la demeure de pierre du boulevard Lévesque O. avait le statut de maison-mère de la congrégation fondée en 1928 à Gaspé.
Au tournant du millénaire, 214 religieuses d’une dizaine de nationalités différentes étaient rattachée à l’une ou l’autre de leurs six maisons, à Vancouver, Anaham et Mount-Currie, en Colombie Britannique, ainsi qu’à Ottawa, Gaspé ou Laval.
La maison de Laval était «une maison pour nos sœurs âgées, malades et aussi une maison de transition pour nos sœurs venues des missions pour refaire leurs forces, ainsi que pour nos sœurs étudiantes de nos différentes nationalités», explique sœur Claudette Morin, supérieure générale.
Les religieuses qui déménagent gardent chacune des années de souvenirs du Japon, du Congo, d’Haïti, de la Corée du Sud, de la Côte d’Ivoire, du Tchad, du Bénin, des Philippines ou des communautés autochtones de l’Ouest canadien et de l’Ontario. Elles sont maintenant à la retraite et la relève se fait rarissime.
Alors que la pandémie du coronavirus a mis une halte aux célébrations religieuses ouvertes au public à la maison de Chomedey, une autre pandémie se fait sentir : celle du non-recrutement. «Au Québec, cela touche aussi toutes les congrégations religieuses», note sœur Claudette Morin.
Aujourd’hui, les Sœurs missionnaires du Christ-Roi sont au nombre de 199. Presque toutes les maisons de la congrégation ont été fermées au fil des ans. Seules demeurent la maison de Gaspé et deux maisons sur la rue Denonville, à Chomedey, qui logent actuellement trois religieuses.
Trésors d’outremer
Parmi la panoplie des objets, meubles et effet de toutes sortes à vendre, donner ou emballer avant le départ, les souvenirs rapportés de l’étranger étaient disposés dans une salle, une semaine avant l’arrivée des déménageurs, lors de la visite du <@Ri>Courrier Laval <@$p>. «Ce sont nos trésors», disent en chœur les religieuses. Certains seront gardés, d’autres pas. Les trésors de la mémoire, eux, restent gravés pour toujours.
Sœur Louise Buist, 77 ans, a passé 38 ans en mission à l’étranger, dont 26 ans au Congo et 11 ans en Haïti. Elle se rappelle Félix, un Congolais de 26 ans gravement blessé au visage. Avec une compagne congolaise, sœur Buist visite assidûment le malade à l’hôpital, affaibli par la blessure qui ne guérissait pas et la tuberculose. Jusqu’à ce qu’un bon samaritain offre de porter une lettre de Félix à sa famille, dans sa ville natale, Likasi, à 800 km de là.
Sœur Buist, qui a rédigé la lettre, se souvient encore du message simple que le jeune homme lui a dicté: «Je suis vivant». C’est ce message qu’a reçu la famille des semaines plus tard, alors que Félix avait déjà rendu l’âme.
«Il ne savait pas où il allait et nous, on lui a parlé de Dieu. Même s’il était en train de mourir, il était vivant en-dedans», décode la religieuse, encore émue.
Sœur Louisa Poirier, 87 ans, a passé 40 ans au Congo, avant et après l’indépendance, à titre d’enseignante et directrice d’école. Sa première affectation au Congo belge l’a marquée à jamais.
«En 1956, quand je suis arrivée au Congo et qu’on m’a mise dans une école d’Européens, avec les blancs… Les enfants noirs étaient [à part]. Ç’a été ma plus grande souffrance, bien que j’aimais mes élèves. Pour moi, c’était l’apartheid.»
«On parlait d’apartheid en Afrique du Sud, mais pas au Congo. Pourtant, c’était la même chose.»
Aujourd’hui à la retraite, sœur Poirier donne son temps à ses compagnes. «J’aide à droite et à gauche, je révise et corrige des textes, je suis libre pour aider.»
Idem pour sœur Buist, qui accumule les projets depuis son retour au bercail, en 2015: accompagnement spirituel, bénévolat à l’unité de soins palliatifs du CHSLD de Sainte-Rose, groupe de lecture. «Je ne suis pas une missionnaire retraitée. Je suis une retraitée missionnaire!»