Y’a-t-il un lien entre immigration et suicide? C’est la question que posait Patricia Riano, psychologue clinique et psychanalyste au Centre de santé et de services sociaux de Laval, lors d’une conférence le 9 février, au Colloque lavallois en prévention du suicide, organisé lors de la Semaine québécoise de prévention du suicide.
Même si les études confirment que le taux de suicide est plus élevé chez les Québécois d’origine que chez les immigrants, la problématique demeure trop peu abordée, selon la psychologue.
Une perte de repères
«Depuis qu’on est petits, on se construit un monde de références, d’identification à la langue et aux valeurs. La famille, les collègues et nos pairs nous aident à construire ce monde. Et lorsqu’on change de pays, on n’est personne pour personne. La plupart traversent ces pertes de façon adéquate, mais si on est fragiles ou s’il y a trop de pertes, cela peut être difficile», explique la spécialiste originaire de la Colombie, qui a longtemps travaillé dans le quartier Côte-des-Neiges, auprès d’une clientèle multiculturelle.
En plus de la perte de repères qui peut se manifester dans le travail ou l’environnement de vie, à son arrivée, l’immigrant peut faire face à certaines déceptions.
«Avec l’immigration, on cherche à changer des choses ou des situations familiales qui ne plaisaient pas. Même si ce n’est pas le but de l’immigration, cela aide beaucoup. Et quand, tout d’un coup, il arrive un évènement et que la personne revient à sa situation d’origine, il y a une certaine déception», analyse celle qui n’hésite pas à illustrer sa théorie à l’aide d’un exemple.
«Je me souviens d’un client qui avait développé des compétences dans son pays et lorsqu’il a immigré, il a réalisé qu’il ne pourrait jamais exercer dans le domaine, car cela impliquait une très bonne connaissance des deux langues officielles, en plus d’obtenir la citoyenneté. La personne se sentait coincée et avait des pensées suicidaires.»
La 2e génération, aussi à risque
On pourrait penser que la perte de repères affecte moins les enfants nés au Québec de parents immigrants, mais Patricia Riano prévient que de nombreux défis subsistent.
«Pour eux, ce n’est pas plus simple. C’est au moment de l’adolescence que surviennent les questions « qui suis-je ? », « d’où je viens ? ». Ils se cherchent une identité. Entre les exigences de la famille et des groupes de pairs, l’adolescent peut se retrouver coincé.»
Une question d’origine?
Et malgré les idées reçues, ce serait les immigrants issus des pays occidentaux qui seraient plus à risque, selon la spécialiste, qui y voit plusieurs raisons.
«Dans certaines cultures, le suicide n’est pas une option. On fait face et c’est tout. Alors que pour d’autres [cultures], c’est une porte de sortie. Ce qui fait que les Européens sont ceux qui font le plus de tentatives de suicide par rapport aux autres communautés.»
La conférencière tient également à souligner que certaines personnes venues notamment d’Asie et de l’Afrique subsaharienne seraient moins portées à consulter.
Enfin, selon elle, les sensibilités régionales ne doivent pas être sous-estimées. «Même pour un Québécois du Lac-Saint-Jean ou de Sainte-Thérèse, aller étudier à Montréal peut impliquer une perte de repères et il devra faire un travail afin de se recréer une identité.»