Dix ans après la mise au jour du plus important système de corruption municipale au pays, six anciens complices du maire déchu Gilles Vaillancourt se retrouvent à nouveau devant la justice.
Accusés au criminel en 2013, les voilà poursuivis solidairement pour 6 millions de dollars au civil.
Il s’agit de l’ex-avocat et homme de confiance de M. Vaillancourt Pierre L. Lambert, l’ex-avocat de la famille Vaillancourt Me Robert Talbot, l’ex-notaire et collecteur de fonds Jean Gauthier, l’ex-avocat et agent officiel du défunt parti PRO des Lavallois – Équipe Gilles Vaillancourt, Jean Bertrand, du frère de l’ancien maire, l’homme d’affaires Guy Vaillancourt, et de l’ex-directeur du Service de l’ingénierie Claude de Guise.
«Je souhaite envoyer un message clair que notre équipe poursuit le travail, a déclaré ce matin le maire de Laval, Stéphane Boyer, par voie de communiqué. Je maintiendrai la même pression et la même urgence d’agir contre ces pratiques inacceptables.»
Retour en arrière
Lors de la rafle du 11 mai 2013, les trois avocats, le notaire et le commerçant précités avaient tous été identifiés comme des «facilitateurs» dans l’opération de ce vaste réseau de partage de contrats publics qui a sévi à Laval pendant au moins une quinzaine d’années.
Quatre d’entre eux avaient vu les accusations pour recel et blanchiment d’argent tombées en 2017 dans la foulée de l’arrêt Jordan, à savoir MM. Robert Talbot, Jean Bertrand, Pierre Lambert et Guy Vaillancourt.
Dans le cas des deux premiers, le juge James Brunton avait accueilli leur requête et ordonné un arrêt des procédures en raison de délais déraisonnables. Six semaines plus tard, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) mettait un terme aux procédures contre Pierre Lambert et Guy Vaillancourt pour les mêmes raisons.
Quant à Jean Gauthier, il s’était reconnu coupable de complot, abus de confiance et recel à l’automne 2017, écopant d’une peine de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité et d’une amende de 100 000 $.
Pour ce qui est du haut fonctionnaire Claude de Guise, il avait écopé d’une peine de 30 mois de prison après avoir plaidé coupable à des accusations de complot, fraude et corruption à l’été 2017.
Nepcon de nouveau poursuivie
Toujours dans l’espoir de récupérer des millions de dollars détournés sous l’ère de Gilles Vaillancourt, la Ville intente une 2e poursuite au civil contre l’entreprise en construction Nepcon et la succession de son fondateur feu Anthony Mergl (à savoir son frère Ronnie et sa veuve Rose).
Cette fois-ci, c’est en lien avec des contrats de gestion de dépôts à neige obtenus frauduleusement entre 2004 et 2007.
On leur réclame la somme de 2 079 139,52 $ en capital, plus les intérêts. Ce montant correspond à 20 % de la valeur totale de ces contrats surfacturés à la Ville dans la foulée du système de collusion.
En 2015, Nepcon et ses dirigeants et actionnaires Ronnie et Rose Mergl avaient défrayé la manchette alors que l’administration Demers les poursuivait pour 12,8 M$. Réévaluée depuis à 9,3 M$, ce recours – toujours pendant devant les tribunaux – est directement lié à des contrats municipaux totalisant 46,5 M$ que Nepcon aurait obtenus frauduleusement entre 1997 et 2009.
Borsellino et Placement Borsa
Une autre poursuite cible la Succession de Giuseppe Borsellino et Placements Borsa à qui la Ville réclame 760 000 $.
En cause, une série de transactions immobilières intervenues en 2000 et 2001 impliquant un terrain de 1,2 million de pieds carrés situé au quadrant nord-est des boulevards St-Elzéar et Curé-Labelle, dans Chomedey. Secteur aujourd’hui densément développé, il s’agissait à l’époque d’un vaste terrain vacant.
La Ville avait cédé pour près de la moitié du prix un terrain alors évalué à 1 068 000 $ à l’entrepreneur Giuseppe Borsellino qui, selon la preuve déposée, entretenait des relations privilégiées avec le maire Vaillancourt.
Collusion chez les firmes d’architectes
Par ailleurs, on apprend que le réseau de partage de contrats publics dont jouissaient les cartels d’entrepreneurs et d’ingénieurs profitait également aux firmes d’architectes paysagistes.
Entre 2004 et 2010, trois entreprises ont bénéficié de ce système frauduleux qui permettait de truquer les appels d’offres et de détourner le processus d’adjudication des contrats publics.
C’est ce qu’on apprend dans une demande en justice déposée par la Ville de Laval à la mi-décembre devant la Chambre civile de la Cour supérieure du Québec.
Sur une période de 7 ans, les firmes Beaupré & Associés, Rousseau Lefebvre et Daniel Arbour et Associés (Groupe IBI/DAA) se seraient partagé 64 mandats de services professionnels totalisant 3,4 M$, et ce, à l’abri de toute concurrence. Toutes 3 font face à des poursuites totalisant un peu plus de 680 000 $.
Rousseau Lefebvre
Constituée à l’été 2000, la firme lavalloise d’architectes paysagistes Rousseau Lefebvre aurait pour sa part obtenu 25 mandats pour une valeur totale de 1 094 839,29 $.
Comme il a été établi que la surfacturation des contrats publics par les entreprises collusionnaires est de l’ordre de 20 %, la Ville réclame à Rousseau Lefebvre la somme de 218 967,86 $.
Cela porte à quelque 10 M$ les nouvelles poursuites lancées par l’administration Boyer, lesquelles s’ajoutent aux recours de 7 M$ déposés l’an dernier.
En foi de quoi «l’administration lavalloise travaille activement dans sa lutte à la corruption et réitère son désir d’être indemnisée par les personnes qui ont profité des Lavallois», déclarait ce vendredi 17 février l’avocat en chef et directeur principal du Service des affaires juridiques de la Ville de Laval, Me Simon Tremblay. «Avec ces nouvelles réclamations, nous mettons tout en œuvre pour que justice soit faite.»