Peu de journalistes peuvent porter aussi dignement le titre de chien de garde de la démocratie que Stéphane St-Amour depuis le lundi 27 juin 1983.
L’embauche de notre collègue il y a 40 ans est en soi-même une vraie scène de cinéma. Lise Blouin-Dallosto est alors présidente-éditrice des Contact et Courrier Laval, qui fusionneront quelques années plus tard.
À l’époque, Stéphane St-Amour transporte des quartiers de viande comme magasinier au golf Islemere (Sainte-Dorothée) pour l’été, lui qui vient de terminer la deuxième année d’une majeure en communications à l’Université Laval, à Québec.
«Ce dont je suis le plus fier est d’avoir vu le Courrier s’affranchir des pressions économiques du pouvoir public et la Ville de Laval passer d’un régime autocratique de plus de 20 ans à une démocratie en 2013»
– Stéphane St-Amour
T-shirt polo taché de sang, pas rasé ce vendredi-là, il répond à l’appel de sa mère: «Tu as une entrevue au Courrier Laval pour 16h30.»
«Bien sûr, je n’avais pas de véhicule. Je voyageais en transport collectif et je quitte le travail à 15h», se remémore notre vétéran journaliste, qui attend l’autobus 45 minutes, avant de faire un tour de ville, sans aucun arrêt d’ici le terminus Henri-Bourassa.
«Il est alors quasi 18h, je n’ai pas d’argent sur moi, mais je saute dans le premier taxi et lui demande de m’amener au journal en catastrophe, continue celui qui a grandi et vit alors dans Val-des-Arbres. Je lui promets de lui laisser mon portefeuille en garantie et de revenir le payer plus tard au débarcadère de taxis.»
Lise Blouin-Dallosto s’apprête alors à fermer son bureau situé rue Montmorency. Elle aperçoit le jeune étudiant dans un piètre état qui lui raconte vite ses mésaventures en détails.
«À ma grande surprise, elle a salué ma débrouillardise, en trouvant mon histoire amusante et sympathique, et m’a embauché sur le champ, allant jusqu’à offrir de me prêter l’argent pour régler ma course, ce que j’ai refusé, déjà trop gêné de ma tenue et mon retard de 90 minutes.»
Premières années
C’est le journaliste sportif bien connu Yvan Martineau qui aura la tâche de lui montrer les rudiments du métier avant de quitter pour le Dimanche-Matin puis TQS.
Les premiers ordinateurs débarqueront à l’automne 1986. À ses débuts, Stéphane rédige donc sur une machine à écrire. Il doit se rendre jusqu’à l’atelier de composition de Ville Saint-Laurent pour corriger à l’exacto les épreuves de ses articles, notamment des portraits de personnalités lavalloises.
Le Courrier Laval publie alors deux éditions chaque semaine. Il n’est pas rare que les 2 parutions totalisent 160 pages, dont 40 d’annonces classées dans l’édition du dimanche.
Puis fin des années 1980, St-Amour sera nommé adjoint à l’éditrice des Hebdos du Bloc-Nord dont fait alors partie le Courrier Laval. Un poste qu’il occupera 10 ans.
L’ère Transcontinental
Durant ses 40 années de service, le Courrier Laval a été détenu par 4 grands groupes de presse, à savoir Unimédia, Hollinger, Télémédia et Transcontinental avant de passer aux mains de 2M.Media en 2017.
De 1998 à l’automne 2004, Stéphane St-Amour prend charge de deux publications mensuelles, l’une culturelle, l’autre économique: Quoi et Connexion Affaires Laval, deux produits dérivés du Courrier Laval, dont il intégrera finalement la salle de rédaction à titre de journaliste et rédacteur en chef des pages économiques.
Par la suite, il héritera aussi de la politique municipale, d’abord via la couverture des assemblées de zonage, puis de l’environnement et le logement.
Dès lors, notre journaliste engagera graduellement un bras de fer avec l’administration corrompue de l’ex-maire Gilles Vaillancourt, multipliant les articles mettant au jour de nombreuses pratiques irrégulières à l’hôtel de ville.
Cassure et rétablissement
En janvier 2010, un appel provenant du cabinet du maire Vaillancourt préface le retrait des affaires municipales de notre journaliste émérite.
Curieux hasard, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) lance au même moment une vaste consultation en matière d’information municipale.
En découlera, en novembre 2010, le Dossier noir sur les municipalités, un mémoire levant le voile sur les contraintes qui pèsent sur la couverture des affaires municipales en région et portent directement atteinte à la liberté de presse et à l’accès du public à l’information. On réalise que la situation subie par le journaliste vedette du Courrier Laval sévit ailleurs au Québec.
«Alors que j’avais été mis sur la touche, mes cinq collègues ont tous accepté de participer à la démarche en dénonçant et documentant une vingtaine de cas d’ingérence, intimidation, de menace et boycott de la part de la Ville et du cabinet du maire, se souvient Stéphane St-Amour. Cette vague de solidarité demeure mon plus beau souvenir de vie professionnelle à ce jour.»
Au terme d’un processus d’arbitrage qui l’oppose pendant quatre ans à Transcontinental, alors entreprise propriétaire de l’hebdomadaire lavallois, le Tribunal administratif du travail donne raison à notre journaliste.
«J’ai toujours dit que le jour où je retournerais à l’hôtel de ville, c’est par la grande porte que j’entrerais avec une décision favorable dans ma poche arrière, confie le principal intéressé. J’ai été réintégré à la couverture des affaires municipales en mai 2014, soit 18 mois après que Gilles Vaillancourt eut démissionné en pleine disgrâce et un an suivant son arrestation.»
Depuis, la population de Laval continue chaque semaine de lire des articles et dossiers fouillés avec le professionnalisme et la minutie maniaque caractérisant Stéphane St-Amour.
«Pour tout dire, je n’ai jamais eu les coudées aussi franches que depuis ce jour du 15 novembre 2017 où 2M.Media s’est porté acquéreur du Courrier Laval. Notre président-éditeur, Martin Olivier, a toujours démontré un grand respect pour le droit du public à l’information, lui qui croit fermement en les vertus d’une presse régionale libre et indépendante», termine Stéphane St-Amour en saluant l’aplomb et le sens éthique de notre patron.
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