Pour l’organisme gestionnaire du Parc de la Rivière-des-Milles-Îles, les projets de développement immobilier de l’île Gagnon, appelée à devenir un centre de villégiature international, et du secteur en rive Place Sainte-Rose sont «incompatibles avec la mission de protection, de conservation et de mise en valeur du Parc».
Ce lundi 27 juillet, Éco-Nature demande d’abord à l’administration Demers «de doter l’île Gagnon de l’affectation de protection telle qu’on la lui avait octroyée dans les deux premières versions du Schéma d’aménagement révisé», puis «de mettre en place une réserve foncière sur les terrains visés» par ces deux mégaprojets controversés.
Cette mise sous réserve favoriserait notamment «la consultation citoyenne et des organismes» tout en assurant «le recul nécessaire à la recherche de solutions respectant les principes de développement durable».
Rappelons que depuis la mi-juin, la Ville en est à évaluer l’acceptabilité sociale au moyen d’un sondage disponible en ligne, lequel se poursuit jusqu’au 31 juillet.
Six semaines plus tard
Fort attendue, la prise de position publique de la direction d’Éco-Nature survient six semaines après la visioconférence où le promoteur et président de la firme Novatek, François Duplantie, dévoilait ses plans de développement estimés à 800 M$.
«Nous avons choisi de protéger un bien commun, un investissement que nous souhaitons durable pour des centaines d’années à venir, déclare le cofondateur et directeur de la mise en valeur du Parc, Jean Lauzon. Nous ne l’avons pas fait uniquement pour l’humain, mais aussi au bénéfice de la faune et de la flore.»
Artisan de la première heure d’Éco-Nature, organisme voué depuis 35 ans à la protection de la rivière des Mille Îles, Jean Lauzon réfère aux quelques 225 M$ investis depuis le milieu des années 1980 dans la préservation d’écosystèmes d’exception, l’assainissement de ses eaux et l’aménagement de ses îles et rives.
«Ce projet immobilier et récréotouristique viendrait altérer de façon permanente la quiétude de cette oasis en plein coeur de la ville, en plus de présenter des enjeux environnementaux importants», estime Éco-Nature, qui rappelle que l’île Gagnon est située à environ 70 mètres de ses installations aménagées sur la berge du Garrot, principale porte d’entrée du Parc.
Deux étages maximum
Dans un mémoire déposé au printemps 2017 lors des consultations en lien avec la révision du schéma d’aménagement, Éco-Nature proposait, entre autres, d’accroître la densité à proximité du centre-ville et la réduire en bordure des milieux naturels et des rivières ceinturant l’île Jésus.
Plus précisément, elle recommandait aux autorités municipales de «limiter à deux étages les bâtiments en bordure des rivières afin de ne pas dépasser la hauteur de la canopée». À cet égard, le projet de Place Sainte-Rose prévoit des tours d’habitation de 12 étages aux abords de la rivière au quadrant nord-ouest des boulevards Sainte-Rose et Curé-Labelle.
Si Éco-Nature reconnaît l’importance des projets d’investissement privés en matière de développement économique, de revitalisation et densification urbaine, ceux-ci «doivent s’implanter dans des zones appropriées», suggère-t-il, soulignant au passage les sept aires TOD (Transit-oriented development) que la Ville a identifiées dans son schéma d’aménagement, incluant la gare de Sainte-Rose.
Un grand parc à protéger
Par voie de communiqué, la directrice générale du Parc de la Rivière-des-Mille-Îles (PRMI) nouvellement en poste, Isabelle Labarre, fait valoir la nécessité de poursuivre les investissements publics à la faveur d’un grand parc régional de conservation au cœur duquel niche l’archipel de Sainte-Rose.
Un projet de développement qui vaut son pesant d’or en termes de retombées économiques, poursuit celle qui cite en exemple le parc de la Gatineau. Selon une étude, les 600 000 visiteurs uniques que ce parc fédéral attire chaque année dans la région de l’Outaouais auraient généré des dépenses de l’ordre de 184 M$ en 2015.
Avec des aménagements ciblés, le PRMI aurait tout le potentiel pour «desservir la population du Grand Montréal, soit plus de quatre millions de personnes plus que jamais à la recherche d’un contact avec la nature et friandes d’activités de plein air», soutient-elle.
Mme Labarre en veut pour preuve une hausse de l’achalandage de 15 % en trois ans, alors que le Parc a atteint 155 000 visiteurs en 2019. Incidemment, pour prévenir la dégradation de la rive et atténuer l’impact des activités de mise en valeur lié à l’accroissement de la clientèle, la berge du Garrot – principal site d’accueil – sera complètement réaménagée cette année, précise la principale intéressée.
Projet d’agrandissement
Aux yeux d’Éco-Nature, la protection de l’île Gagnon est d’autant cruciale que l’organisme planche depuis 10 ans sur un projet visant à faire du Parc de la Rivière-des-Mille-Îles un des plus grands refuges fauniques de la province.
L’objectif est ambitieux: accroître le statut d’aire protégée de près de 20 fois sa superficie actuelle. En clair, on veut faire passer le Parc de 26 à 500 hectares.
«Ce projet vise à assurer le maintien de milieux naturels riches dans la région la plus densément peuplée du Québec, écrit l’organisme tout en déclinant ainsi les vertus et bienfaits du Parc de la rivière: réduire l’impact des inondations et des îlots de chaleur, assurer un approvisionnement en eau potable de qualité pour plus de 500 000 citoyens, offrir des milieux de vie sains et soutenir une biodiversité insoupçonnée dans la grande région métropolitaine.»
Par ailleurs, si les deux tiers des espèces fauniques vertébrées du Québec ont été recensés sur le territoire du Parc, on s’inquiète du fait que 92 d’entre elles sont aujourd’hui considérées en péril ou à statut précaire et que cette liste ne cesse de s’allonger, d’où le projet en cours.
«Dans ce territoire déjà largement fragmenté et fragilisé, la pression urbaine est toujours présente avec moins du tiers des rives conservées à l’état naturel», déplore Éco-Nature.
À plus court terme
«L’archipel de la Rivière-des-Mille-Îles est identifié au PMAD [Plan métropolitain d’aménagement et de développement] comme un ensemble patrimonial d’intérêt métropolitain», ne manque pas rappeler Éco-Nature.
Si bien que le Parc avait été retenu parmi les quatre grands projets ciblés dans le cadre de la Phase initiale du déploiement de la Trame verte et bleue de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), ce qui lui avait valu un investissement de 15 M$ dans ses infrastructures d’accueil.
Dans la foulée de la seconde phase fraîchement lancée par la CMM, la direction du Parc s’apprête à déposer un projet visant cette fois l’implantation d’un réseau de transport écologique, utilitaire et récréatif sur l’eau et en rive, qui faciliterait l’accès à la rivière d’ouest en est sur un distance de 42 kilomètres.
On parle ici de circuits autoguidés, service de bateaux navettes électriques, location de diverses embarcations et vélos. «Cette nouvelle offre de services permettra de réduire la pression sur le site d’accueil de Laval, d’accroître l’accessibilité aux citoyens de toutes les villes riveraines et de créer la connectivité dont ce parc a besoin pour poursuivre sa mission de mise en valeur et créer l’engagement citoyen nécessaire à la pérennité de ses écosystèmes», fait-on valoir.