C’est un conseil profondément divisé qui a entériné, hier, le règlement hors cour permettant de tourner la page sur la plus importante poursuite de l’histoire de la Ville de Laval.
«C’est gagnant pour les citoyens», a réagi le maire Marc Demers à l’issue d’un vote favorable à 13 voix contre 8.
Les huit voix divergentes sont celles des deux élus de l’opposition officielle, des trois élus de la seconde opposition et des trois élus siégeant comme indépendants. Ceux-ci ne se sont d’ailleurs pas gênés pour qualifier de «fiasco financier», de «défaite historique» et d’«échec colossal» ce règlement qui coûtera «beaucoup plus cher que les 13,8 M$» annoncés, estiment-ils.
Ce montant représente un 5e (21 %) de la pleine valeur de la poursuite de 66,3 M$ engagée en 2014 contre l’administration Demers.
Poursuite
Rappelons que Construction Aldo et Construction Lafleur réclamaient à la Ville 66,3 M$, soit le profit net qu’elles auraient retiré de la réalisation des deux gratte-ciels de 28 et 30 étages projetés sur la berge de la marina Le Commodore, dans Pont-Viau.
Initié en 2008, ce projet est mort dans l’œuf en 2014 à la suite de l’adoption du règlement de contrôle intérimaire (RCI) qui n’autorisait que l’usage marina sur le terrain que le promoteur Aldo Coviello Jr avait acquis au coût de 4,4 M$.
Ce qu’il en coûte à la Ville
Le coût de ce règlement à l’amiable s’élève à très exactement 13 772 257 $, dont un montant forfaitaire de 7 237 070 $ payé comptant, confirme la Ville par voie de communiqué.
Quant aux 6,5 M$ restants, ils correspondent à «la valeur des bâtiments cédés» par la Ville, nous explique-t-on par courriel.
Il s’agit des propriétés voisines situées au 1535 et 1555, boulevard Chomedey, abritant la bibliothèque multiculturelle et la Maison du commerce et d’industrie. Toutefois, leur valeur foncière combinée s’établit plutôt à 10 738 300 $, selon les conditions du marché qui prévalaient au 1er juillet 2017, observe-t-on sur le site d’évaluation de la Municipalité.
Au moment de mettre en ligne, l’administration municipale était toujours à valider ces chiffres.
Ce que la Ville obtient
«Treize millions [de dollars], ça peut paraître gros, mais ça comprend l’acquisition de la marina», a tenu à nuancer le vice-président du comité exécutif et conseiller municipal du secteur, Stéphane Boyer, lors des échanges précédant le vote.
De fait, la Ville acquiert en échange les 5 lots en façade de la rivière des Prairies qu’occupe la marina Le Commodore. Ce terrain en rive est évalué à 4 368 300 $.
«Avec cette entente-là, on met fin au suspense juridique, on vient protéger la berge, on arrête de payer des frais d’avocats et deux terrains vont être développés et vont générer des nouveaux revenus pour la Municipalité. C’est une excellente entente», a-t-il résumé.
Dans le communiqué publié dans les minutes suivant l’adoption du règlement, hier en fin de journée, le maire Demers parle d’«une entente positive pour tous les citoyens de Laval qui regagneront un accès à une berge importante de l’île».
Il ajoute: «Nous étions sûrs que ce dossier était solide, mais même un jugement en faveur de la Ville n’aurait pas permis de prendre possession du site de la marina et n’aurait pas exclu la possibilité d’un recours en appel. C’est une entente qui démontre concrètement la volonté de notre administration municipale d’établir une saine gestion des dossiers.»
Cette acquisition en rive donnera lieu à une consultation publique qui portera sur différentes possibilités d’aménagement de parc municipal intégrant la berge des Écores, attenante à l’est du site.
Marc Demers s’est engagé à rendre accessible ces terrains riverains dans un délai maximal de deux ans.
Relocalisation des services
La Ville disposera de quatre ans pour planifier la relocalisation de la bibliothèque multiculturelle dans le secteur Chomedey, soit jusqu’en mars 2024.
Pour ce qui est de l’immeuble où le Service de développement économique cohabite avec la Chambre de commerce et d’industrie de Laval, il sera livré au promoteur en février 2022.
La cession de ces deux immeubles «règle des problèmes», a fait valoir M. Demers en évoquant leur vétusté qui, sur un horizon de 5 ans, aurait nécessité des investissements de l’ordre de 13 M$. Son collègue au comité exécutif Ray Khalil en a rajouté, soulignant des revenus de taxation de près d’un million de dollars que rapporteront annuellement les futures constructions qui s’élèveront dans le centre-ville de Laval.
Dissimulation des coûts réels
Les trois groupes d’opposition portent un tout autre regard sur ce règlement hors cour.
Dans une rare unanimité, ils accusent l’administration Demers de cacher aux Lavallois les coûts réels de cette entente à l’amiable.
À commencer par les coûts afférents au déménagement de la bibliothèque.
«Demain matin, si on construit une bibliothèque en remplacement, est-ce que ça va coûter 25, 30, 40 millions?» a demandé le leader d’Action Laval, Michel Poissant. Ce dernier a évoqué au passage la mise en veilleuse du projet de grande bibliothèque qui, au Programme triennal d’immobilisations (PTI) 2018-2020, était estimé à 80 M$.
«Les coûts liés à cette entente ne font que commencer, affirme pour sa part le chef de Parti Laval et de l’opposition officielle, Michel Trottier. Les Lavallois n’ont malheureusement pas fini de payer pour les erreurs de Marc Demers dans ce dossier-là.»
Immeubles sous-évalués
Par ailleurs, le conseiller de Fabreville, Claude Larochelle, a cherché à savoir pourquoi la Ville n’a pas demandé d’évaluation agréée afin d’établir la véritable valeur marchande de ses immeubles avant de les céder à un promoteur.
«Combien ça vaut? On ne le sait pas! Deux terrains au centre-ville zonés 15 étages et on ne demande pas d’évaluation professionnelle [alors qu’] on le fait tout le temps. Ben ça, ça fait partie de la dissimulation», a-t-il pesté.
Tout en dénonçant le fait que la Ville se départisse de ces deux immeubles «au prix dérisoire de l’évaluation foncière», il rappelle que l’administration Demers avait payé, l’automne dernier, 21 M$ pour l’édifice à bureaux situé au 1200, boulevard Chomedey, soit 42 % de plus que la valeur foncière figurant au rôle d’évaluation de la Ville
Pour sa part, David De Cotis a mentionné qu’il fallait également ajouter à la facture «les trois millions de dollars en frais juridiques à l’interne et à l’externe» défrayés au cours des six dernières années.
«On a négocié les mains attachées, a déploré Michel Poissant, soulignant que l’entente de principe est intervenue tout juste avant le témoignage attendu du maire Demers et de son bras droit, Stéphane Boyer. On donne une partie de notre patrimoine.»
De retour en cour
Rappelons que l’entente de principe – aujourd’hui ratifiée – avait été signifiée au Tribunal le 11 mars, entraînant du coup la suspension de ce procès que présidait le juge de la Cour supérieure Daniel W. Payette depuis la mi-janvier.
Ainsi, aux fins d’homologation, les parties liées par ce règlement à l’amiable devront retourner devant la Cour au plus tard le 15 mai pour y déposer l’entente scellant officiellement l’issue du procès.