L’Hôpital de la Cité-de-la-santé semble avoir trouvé une formule pour limiter au maximum le «temps supplémentaire obligatoire» (TSO). Or, les chiffres sont trompeurs selon le président du Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes et infirmières auxiliaires de Laval (SIIIAL-CSQ), Déreck Cyr, qui travaille aussi à l’urgence de l’établissement.
«Moi, d’entendre que tout est réglé à Laval, ça me fâche parce que c’est faux. Mais c’est vrai qu’ils [les administrateurs] mettent des choses en place», déclare le président du SIIIAL.
Quand Élaine Cardinal travaillait comme infirmière en 1997, le TSO était déjà bien implanté comme pratique.
Aujourd’hui, elle est directrice des soins infirmiers du Centre intégré de santé et des services sociaux (CISSS) de Laval. «On [les administrateurs] a toujours essayé de l’éradiquer», assure l’ancienne infirmière.
Coup de barre
Élaine Cardinal raconte qu’à Laval, un coup de barre a été donné après la pandémie, après un pic de TSO à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet.
De concert, les gestionnaires ont mis sur pied un guide à suivre pour éviter de recourir au TSO.
«On a mis par écrit les mesures qu’on prenait avant», explique Mme Cardinal.
Les chiffres qu’elle présente sont convaincants. L’hôpital a comptabilisé 180 heures de TSO de la mi-août à la mi-septembre. Du début novembre au début décembre, le nombre a chuté à 69 heures.
Une situation qui s’explique naturellement selon le président du Syndicat. «Les congés d’été sont pris pendant la période du 28 mai au 30 septembre».
Il y avait donc un grand manque de personnel pendant les vacances d’été. La situation s’est réglée d’elle-même une fois que tous ces congés ont été pris.
Déreck Cyr poursuit en soutenant que la Cité-de-la-santé a été obligé de donner ce coup de barre parce que le tribunal d’arbitrage a donné raison au syndicat. L’hôpital lavallois aurait utilisé le TSO systématiquement pour combler les besoins en personnel.
On peut lire dans la décision rendue par maître Julie Blouin que «l’employeur a exercé son droit de gérance de façon abusive».
Cette décision a été déposée le 26 juillet.
Mesure d’exception
«On ne peut pas garantir 0 TSO», nuance Élaine Cardinal, pour qui, le TSO est une mesure exceptionnelle utilisée seulement dans des cas imprévisibles comme un employé qui tombe malade le matin même.
Ce qui ne serait pas le cas. «Les horaires sortent un mois d’avance, affirme pour sa part Déreck Cyr. On le sait quand il manque de personnel des semaines avant.»
Pourtant, la gestionnaire est fière d’affirmer que le TSO n’est plus une mesure courante. «Le dernier TSO date du 9 janvier et c’était seulement 1 heure 10 minutes. Celui d’avant remontait au 7 janvier, et ce, pour une durée de quatre heures», affirme Mme Cardinal.
Une situation que ne contredit pas mais nuance néanmoins Déreck Cyr. «À l’urgence, du jeudi 12 janvier, à minuit, au 16 janvier, 11h59, il y a eu 67 quarts de travail fait en temps supplémentaire. 48 quarts complets et 19 demi-quarts.».
S’il n’y a pas eu de TSO, c’est que les infirmières ont choisi de faire du temps supplémentaire, souligne-t-il.
«Les filles préfèrent choisir la journée où elles vont finir plus tard au lieu de se le faire imposer n’importe quand à la dernière minute.»
De plus, pendant la période des Fêtes, les hôpitaux bénéficient de plus d’employés.
«Les infirmières qui sont à l’école prennent des congés d’étude, mais pendant les vacances de Noël, elles sont obligées de travailler. De plus, entre le 15 décembre et le 15 janvier, on n’a pas le droit aux congés. On n’a que deux jours, à Noël ou le Jour de l’An», renchérit M. Cyr.
Moyens
Il y a deux façons de réduire la pression aux urgences: augmenter le personnel et diminuer le nombre de patients.
L’hôpital a fait une grande campagne d’embauche. Pour être plus alléchante, la Cité-de-la-Santé assure maintenant au moins 50% de quart de jour dans les horaires en rotation.
Ainsi, la Cité n’impose pas des horaires exclusivement de soir ou de nuit à aucun employé.
L’hôpital a aussi offert à tous les employés à temps partiel des horaires à temps complet. La directrice des soins infirmiers estime que «70% des temps partiels sont passés à temps plein».
Malgré tout, la pénurie de main-d’œuvre met encore des bâtons dans les roues.
Toutefois, l’administration de l’hôpital se donne le droit de faire des déplacements involontaires du personnel soignant pour les relocaliser sur des étages en manque de travailleurs.
Cette pratique va cependant à l’encontre de la convention collective et peut ralentir l’apprentissage des nouvelles infirmières, soutient le président du SIIIAL.
Les infirmières de soutien clinique sont aussi mises à contribution puisque l’administration leur demande de prêter main forte sur des départements dégarnis en personnel.
Pertinence des soins
Pour diminuer le nombre de patients à l’hôpital, l’idée n’est pas de refuser des patients ou de les délaisser, mais bien de rediriger les «urgences» non urgentes assure la Élaine Cardinal.
«Des gens viennent des fois à l’urgence parce qu’ils ont besoin d’un renouvellement de prescription et qu’ils n’ont pas réussi à voir un médecin.»
Ainsi depuis le 15 novembre, une infirmière du Guichet d’accès à un professionnel (GAP) est présente à l’urgence de Laval.
Elle fait un pré-triage des patients. Elle est alors en mesure de leur fixer un rendez-vous avec un médecin ou même de les rediriger vers d’autres professionnels comme les pharmaciens. Elle permet aussi de diriger les priorités 4 (P4) et les priorités 5 (P5) vers la nouvelle «super» clinique.
Élaine Cardinal estime que sur les 260 patients admis à l’urgence chaque jour, 40% sont des P4 ou des P5.
Cette idée d’avoir une infirmière du GAP à l’hôpital est une initiative que quatre à cinq autres hôpitaux ont eu au Québec. Ces mesures spontanées ont inspiré le ministre de la Santé afin de répandre cette initiative ailleurs.
La Cité-de-la-Santé siège sur l’un des comités de travail afin d’élaborer un projet pilote qui pourrait être déployé partout au Québec.
Solution pour le futur
Élaine Cardinal juge qu’il y a de plus en plus d’ouverture de la part des médecins pour relayer une partie de leurs champs d’expertise aux infirmières.
Certaines ont désormais le droit de prescrire des médicaments. Pour d’autres problématiques, les infirmiers et infirmières ont même accès à des ordonnances collectives.
Mme Cardinal croit que cela pourra aider à réduire la pression aux urgences.
De son côté, Déreck Cyr pense que le gouvernement devrait forcer les infirmières à revenir dans le public en n’utilisant plus les agences privées.
Cela permettrait de retrouver cette main-d’œuvre perdue et de limiter l’exode des infirmiers et infirmières vers le privé.