2 août 2018, quatre jours avant le dépôt d’un rapport d’expertise plaidant en faveur de la conservation intégrale du bois du Trait-Carré, une surprise de taille attendait certains de ses auteurs.
CANOPÉE – Le réseau des bois de Laval se désengageait de ce document d’une centaine de pages mettant sous pression les élus lavallois qui devaient se prononcer sur l’avenir d’un des derniers îlots de verdure au cœur du centre-ville.
«Cette décision m’attriste personnellement car j’aurais préféré demeurer solidaire, mais les risques pour CANOPÉE seraient trop importants au moment où sa survie dépend entièrement du bon vouloir des pouvoirs publics», écrit son directeur général d’alors, Yann Vergriete, dans un courriel adressé à ses partenaires, dont le Courrier Laval a obtenu copie.
À ce moment-là, l’administration Demers, alors minoritaire au conseil municipal, tentait désespérément de faire adopter une entente négociée avec le Groupe immobilier FTQ. Pour 17,5 M$, la Ville lui cédait la moitié des 12 hectares du boisé pour y construire des tours d’habitation. La résolution a finalement été battue le 6 août et le boisé conservé dans son intégralité.
Retrait stratégique
Bien qu’il se souvienne du haut niveau de tension que suscitait le débat, le président de CANOPÉE, Luc Leblanc, se défend bien d’avoir subi des pressions politiques, niant toute ingérence de l’administration municipale dans ce dossier.
«On a juste voulu préserver les discussions, éviter de brouiller les cartes», dit-il en rappelant qu’il était «en pleine négociation» d’un projet pilote et d’un important financement avec la Ville.
Il tient aussi à préciser que cette «décision stratégique» de se distancier du rapport auquel lui et son équipe avait largement contribué – de concert avec le Conseil régional de l’environnement (CRE) de Laval et Les amis du Boisé du Souvenir – n’a eu aucun impact sur la suite des choses. «On considérait qu’on avait collectivement mis en place ce qu’il fallait pour assurer une victoire. Pour nous, c’était acquis.»
Virage à 180 degrés
Il reste que la décision d’effacer son nom d’un rapport d’experts détonnait avec la virulente sortie de CANOPÉE effectuée deux semaines plus tôt.
En plein conseil municipal, le DG Yann Vergriete avait notamment souligné la forte présence de personnes âgées vivant au pourtour de ce qu’il qualifiait des «pires îlots de chaleur de la région», rappelant au passage les 70 morts qu’avait fait au Québec la récente vague de chaleur extrême, dont 5 à Laval.
À défaut de préserver intégralement le bois du Trait-Carré, sa collègue Carole Garceau avait même demandé au maire Demers qu’il s’engage à verser dans un fonds vert les 17,5 M$ tirés de sa vente partielle de même que les revenus de taxes qu’engendrerait le développement immobilier qui s’y implanterait.
Bref, à la lumière de ses interventions – et de quelques autres -, les élus avaient choisi de reporter au mois suivant le vote qui allait décider du sort de ce milieu naturel.
«On était en accord avec la sortie de notre DG, on la jugeait appropriée», souligne Luc Leblanc qui, pour des considérations financières explique-t-il, a dû demander à M. Vergriete de quitter ses fonctions quelques mois plus tard.
Bois orphelins
À l’instar du bois du Trait-Carré, la grande majorité des boisés d’intérêt recensés sur l’île Jésus sont orphelins en ce sens qu’ils ne sont pas parrainés par un organisme bénévole.
«Un de nos objectifs phares est de leur donner une voix, les protéger, les prendre en charge et les rendre accessibles», poursuit M. Leblanc.
Or, advenant qu’un de ces espaces naturels soit à nouveau menacé par un projet de développement, il n’hésiterait pas à reprendre le bâton du pèlerin pour le défendre, assure le principal intéressé.
«CANOPÉE est né de la volonté des organismes qui parrainent des boisés de se regrouper prendre aussi en charge tous les autres boisés qui n’ont pas la chance d’être parrainés», rappelle son président.
Indépendance
Aux yeux de Luc Leblanc, il est possible pour un organisme dépendant financièrement de la Ville d’exercer face à celle-ci son rôle de chien de garde.
Il cite en exemple la Corporation de la mise en valeur du bois de l’Équerre dont il préside également aux destinées.
«… toutes les fois qu’on a eu des décisions à prendre, on défendait nos positions indépendamment qu’on parlait au bailleur de fonds principal [la Ville]. On essayait de garder une indépendance très, très forte. À CANOPÉE, nous avons la même volonté.»
Cela dit, l’organisme ne s’emploie pas moins activement à diversifier ses sources de revenus, notamment auprès des gouvernements supérieurs qui financent, entre autres, différents programmes de recherche. Toujours dans le dessein de ne pas dépendre uniquement des subsides de la Municipalité, l’organisme planche actuellement à un plan d’affaires récréotouristique qui impliquerait une infrastructure de haut niveau en forêt, termine le principal intéressé sans toutefois donner plus de détails.