Entre le 3515 et le 3516, rue Edgar, à Fabreville, il n’y a qu’un jet de pierre, mais toute la vie d’un homme. En 1966, à 5 ans, il traverse pour la première fois la rue séparant la maison familiale de son école, qui deviendra plus tard son lieu de travail. Cinquante-cinq ans plus tard, on souligne son départ à la retraite.
Cet homme est éducateur au service de garde et enseignant à l’école primaire Cœur-Soleil.
«Il a éduqué des milliers d’enfants mais il l’a surtout fait avec une probité irréprochable et un enthousiasme contagieux. Il s’appelle Benoit Brunet mais tout Fabreville l’appelle Monsieur Ben.»
Marc Berger, enseignant de 3e année, présente ainsi son collègue, qui quittait, le 23 juin, l’école qui l’a accueilli petit garçon et lui a offert une carrière qui l’a rendu heureux pendant 36 ans.
Temple de la renommée
«Depuis ce matin, j’ai une boule dans la gorge.» Le 21 juin, les élèves réservaient une surprise à leur éducateur et professeur, grand amateur de hockey. Au gymnase, ils ont «retiré» un chandail portant son nom et l’ont hissé au plafond. «Ils m’ont offert un beau cadre avec des photos de moi enfant et adulte. Ils m’ont fait pleurer!»
Mais l’émotion était à son comble le jour du départ.
«Je me sens sensible, fébrile, un peu fragile, c’est sûr qu’il va y avoir un vide», résume Benoit Brunet lors de son dernier après-midi à l’école, le 23 juin.
Bilan d’amour
«Je pense que j’ai fait du bon travail. J’ai fait plus que le client en demande», dit celui qui a joué plusieurs rôles à l’école Cœur-Soleil. Superviseur de stagiaires du programme de technique d’éducation à l’enfance du Cégep Montmorency pendant une vingtaine d’années, enseignant aux adultes le soir, bénévole à ses heures… en plus de son travail au service de garde et de l’enseignement de différentes matières, dont l’éducation physique.
Benoit Brunet a beaucoup donné, mais a reçu en retour. «J’ai eu une paye monétaire, mais j’ai eu aussi une paye non monétaire.» Il fait le compte: les câlins, l’affection, les mots d’amour, les petits et grands chagrins partagés, les taquineries, les plaisirs, les dessins et les bricolages des enfants, mais aussi les bons mots des parents et des collègues.
Ce qui le rend le plus heureux? C’est de voir les enfants grandir, devenir adultes, avoir des enfants. Il donne l’exemple d’un ancien élève, Yves Brouillette, à qui il a enseigné alors qu’il avait 9 ans, devenu aujourd’hui président de son syndicat et parent de deux fillettes qui fréquentent le service de garde. «Je connais ses parents, j’ai eu la blonde à Yves comme stagiaire.»
Les cycles se succèdent et M. Ben reste, comme une ancre au milieu des générations qui se multiplient, qui reviennent à l’école pour lui rendre visite.
Une rencontre marquante? Son professeur de 6e année Gilles Ross, en 1972, qui partageait avec ses élèves la passion du hockey. Devenu son patron des années plus tard, à la direction de l’école Cœur-Soleil, M. Ross est resté, aux yeux de Benoît Brunet «un homme extraordinaire, respectueux, compréhensif, sensible.»
C’est d’ailleurs le hockey, que Benoit Brunet a pratiqué assidûment dans sa jeunesse, qui l’a conduit à l’éducation. À 17 ans, il devient entraîneur. Sa facilité à créer des liens avec les enfants l’incite à faire ses études en éducation physique à l’UQAM. Approché par la responsable du service de garde de son école d’enfance, il y travaille à temps partiel pendant ses études et y plonge à plein temps une fois son diplôme en poche.
Rituel quotidien
Rester toute sa carrière au même endroit, ce n’est pas étouffant? Il répond très vite par la négative. «Le changement, ce n’est pas dans mes cordes. J’ai besoin de stabilité, de sécurité de confort, d’une aisance.»
Dès le début de sa carrière, il recommence à traverser la rue régulièrement pour aller dîner chez sa mère, qui habite toujours dans la maison où il a grandi. «Tous les soirs, j’entrais dans la maison et je déposais mes clés dans l’entrée, sur les escaliers. Je lui disais: Salut maman, tout va bien?» Une façon de dire « à demain », car les clés étaient requises pour le retour au travail, le jour suivant.
Au fil de la conversation avec la journaliste, le chat sort du sac : le départ à la retraite, c’est pour le service de garde seulement. «Je sais que je vais revenir enseigner, faire de la suppléance. Je suis encore très passionné dans mon travail, j’en encore besoin du lien avec les enfants, d’entendre la cloche qui sonne. J’ai besoin d’une porte ouverte, d’une transition, un an ou deux.»
«Je n’ai pas encore bouclé la boucle avec les enfants».
Et qu’est-ce qu’il faudrait, pour boucler définitivement cette boucle? La réponse ne vient pas tout de suite, mais un peu plus tard dans la conversation, à son insu. «Je me sens chez moi ici. Je pense que ma ligne de vie était tracée, pour être heureux ici.»