L’aménagement d’un mur de soutènement culminant à une hauteur de 2,4 mètres à la limite de leur cour arrière soulève l’ire des résidents de la rue Dubeau, dans Chomedey.
Dans une lettre accompagnée d’une pétition de 90 signatures déposée à l’hôtel de ville, le 2 août, ces citoyens réclament des autorités municipales la suspension immédiate de tout nouveau permis de construction au développeur, et ce, jusqu’à ce que soit corrigé ce qu’ils qualifient d’«horreur urbanistique».
Sentiment partagé par l’opposition officielle qui, le lendemain, publiait un communiqué pour faire pression sur l’administration Demers-Boyer.
«Cette construction est une aberration sur toute la ligne qui aura un impact majeur sur la qualité de vie des citoyennes et des citoyens de la rue Dubeau […] C’est épouvantable d’un point de vue urbanistique, mais aussi humain de créer une frontière aussi imposante entre deux quartiers», dénonçait le chef de Parti Laval, Michel Trottier.
Ce dernier adhère à la solution de rechange proposée par les pétitionnaires, à savoir de remplacer le muret par un talus végétalisé en pente douce qui viendrait s’appuyer sur une seule rangée de blocs de béton, plutôt que quatre comme c’est le cas actuellement.
Selon la pétitionnaire Kordula Khubeis, en tenant compte de la clôture qui s’érigera au sommet de ce mur, les occupants de 24 résidences devront composer avec une obstruction visuelle haute de 4,2 mètres à son niveau le plus élevé, privant ainsi d’ensoleillement leur cour orientée vers l’est.
Une lettre qui déplaît
«Les gens ne sont vraiment pas contents, dit-elle. On est ici depuis 16 ou 17 ans et personne ne nous a avisés de ce développement qui arrive derrière chez-nous et qui nous affecte.»
Ce qui a ajouté à l’indignation des résidents de la rue Dubeau, poursuit Mme Khubeis, c’est la lettre que certains d’entre eux avaient trouvée à leur porte, le 3 mai dernier, dans les jours suivant la disparition du boisé qui bordait leur cour arrière.
Par cette lettre, la Ville rappelait que s’ils avaient reçu en 2020 un avis indiquant qu’un arbre devait être planté en façade de leur résidence – conformément au règlement municipal -, ils disposaient d’un délai d’un an, à partir de la date de l’inspection, pour s’y conformer. «Nous visiterons votre propriété en 2021 pour nous assurer que l’arbre a été planté. Si la plantation n’a pas été faite, un constat d’infraction de 200 $ (plus les frais applicables) vous sera délivré», pouvait-on notamment y lire.
«C’est incroyable», lâche visiblement excédée Mme Khubeis, dénonçant une politique de deux poids, deux mesures alors qu’on venait tout juste «de raser des milliers d’arbres» derrière chez elle.
Exit sanctuaire d’oiseaux
Au dire de Kordula Khubeis, le voisinage profitait jusque-là d’un sanctuaire d’oiseaux qu’abritait ce boisé de neuf hectares aujourd’hui disparu.
Responsable des affaires publiques au Service des communications à la Ville, Anne-Marie Braconnier parle plutôt d’une ancienne terre agricole devenue une friche. «Le terrain était composé de friches herbacées et arborescentes de valeur écologique moindre puisqu’il s’agissait de peuplements jeunes et perturbés. Il n’y avait aucun peuplement d’arbres matures ou d’intérêt», nuance-t-elle dans un échange de courriels.
Pour le biologiste à l’emploi du Conseil régional de l’environnement (CRE) de Laval, Alexandre Choquet, il s’agissait d’un «jeune boisé en début de succession» avec de «beaux grands peupliers d’une vingtaine de mètres» qu’il avait lui-même recensés en 2019.
S’il concède que le milieu n’était pas d’un grand intérêt en termes de biodiversité, M. Choquet note tout de même qu’on était en présence d’un des derniers peuplements boisés dans ce secteur situé à l’est de l’autoroute 13.
«C’est une perte de près de 7 hectares de couvert forestier», affirme-t-il en citant les données répertoriées par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Au passage, Alexandre Choquet n’a pas manqué de rappeler les «fonctions bienfaitrices» que jouait cet espace naturel autant auprès «des voisins, de la société en général et de la faune résidente et migratrice».
Pour sa part, le conseiller de Fabreville, Claude Larochelle, n’hésite pas à qualifier de «massacre» cette opération de déboisement menée au cours de la dernière semaine du mois d’avril.
«Encore une fois, parce qu’à Laval il n’y a aucune protection des arbres matures lors des projets de développement contrairement à Longueuil, Montréal ou Québec, le comité exécutif a autorisé le développement du site sans mettre aucune condition et les arbres sont tous passés au moulin», s’est-il insurgé lors d’un entretien avec le Courrier Laval.
En mode solution
À la tête du projet domiciliaire Royal Saint-Martin, le président de Madeco Allard Ménard, Martin Desrochers, affirmait le 6 août avoir volontairement suspendu les travaux du mur au retour des vacances de la construction.
Précisant d’emblée que l’aménagement avait été exécuté selon les plans et devis dûment approuvés par la Ville, M. Desrochers se disait prêt à réduire le mur bétonné dans la mesure où les autorités l’en autorisent. «On est en train de trouver des solutions avec le Service de l’ingénierie.»
Cheffe de division – relations avec le milieu au sein de ce service municipal, Josée Gaulin tenait, la veille, les mêmes propos dans un courriel adressé à Mme Khubeis.
«La ville rencontrera et accompagnera le promoteur et ses consultants afin d’identifier et d’évaluer si des mesures peuvent être mises de l’avant pour réduire les inconvénients reliés à la présence de ce mur de soutènement», écrivait-elle.
Même son de cloche du côté du maire Marc Demers: «Nous travaillons activement avec l’entrepreneur afin de trouver la meilleure solution possible», déclarait-il dans un courriel reçu le 6 août.
Contraintes techniques
Pour accueillir ce projet de 150 résidences au quadrant sud-est du boulevard Saint-Martin et de la rue Dubeau, le site posait de nombreuses contraintes techniques qui nécessitaient la construction d’un mur de soutènement, souligne Mme Braconnier.
Elle en veut pour preuve un terrain naturel plus haut que celui des voisins, le rehaussement du niveau des rues projetées, un drainage adéquat des nouveaux terrains vers la future rue François-Beaucourt et une topographie régulière pour les terrains à développer avec possibilité d’avoir une cour arrière aménageable.
Cela dit, contrairement à ce que prétendent l’opposition et les citoyens, la réglementation municipale en vigueur autorise l’élévation d’un mur de soutènement à plus de 1,8 mètre en autant que «les plans soient préparés, signés et scellés par un ingénieur, ce qui est le cas ici», confirment à tour de rôle le cabinet du maire et le Service des communications.
Dans l’emprise de servitude
Par ailleurs, quoiqu’érigé dans l’assiette de la servitude que Madeco accordait à Hydro-Québec l’été dernier, le mur serait en règle, soutient M. Desrochers. «J’ai une entente promoteur qui va au-delà de la servitude», assure celui qui affirme avoir soumis un plan de développement à Hydro-Québec.
Affirmation corroborée par la société d’État.
«Bien que dans l’acte de servitude enregistré en août 2020 il n’y ait pas eu de mention à l’effet d’une permission pour l’installation [d’] un muret par le développeur, [celui-ci] aurait informé Hydro-Québec du muret lors de l’élaboration du plan d’ingénierie pour le prolongement du réseau», nous écrit la conseillère en communication Anna Rozanova.
Elle ajoute que des empiétements sont parfois autorisés dans les emprises d’Hydro-Québec lorsqu’ils sont compatibles avec ses installations. «Chaque situation est analysée de façon particulière», ajoute-t-elle, tout en précisant que «le développeur aurait agi de bonne foi» et qu’il «collabore bien».
Alertée par des citoyens inquiets que des poteaux de bois aient pu être fragilisés, HQ avait dépêché une équipe sur les lieux le 5 août dans le but de s’assurer de l’intégrité du réseau. L’inspection n’a révélé aucun danger.
«Hydro-Québec a rencontré le développeur Madeco Allard Ménard au terrain qui a manifesté une grande volonté de collaborer et d’apporter des modifications à sa structure, si requis. Nos équipes feront des calculs en fonction de nos normes de dégagement et vont les transmettre au développeur. Il sera de sa responsabilité de se conformer à nos exigences.»
Cession aux fins de parcs
Autre grief formulé par le chef de l’opposition, Michel Trottier, et les résidents de la rue Dubeau concerne la contribution de 10 % aux fins de parcs liée à tout projet de développement.
Ceux-ci s’expliquent mal la décision du comité exécutif (CE) d’avoir accepté du promoteur des terrains pour une valeur de 786 000 $ situés ailleurs sur le territoire. Ils auraient souhaité que la Ville mette à profit cette contribution obligatoire pour protéger une partie de l’espace végétalisé et ainsi créer une zone tampon entre les résidences de la rue Dubeau et le projet de développement.
À cela, Mme Braconnier oppose qu’«une zone tampon ne peut faire l’objet d’une cession pour défrayer les frais de parc» et note que le CE a approuvé «l’utilisation d’un crédit» dont disposait le promoteur, lui qui avait cédé des superficies excédentaires au cours des projets précédents.
Qui plus est, ajoute-t-elle, il aurait été difficile de prévoir une zone tampon entre le milieu bâti et le projet en devenir compte tenu de la trame de rues projetée et de la profondeur limitée des terrains à développer. «L’imposition d’une zone tampon aurait pu avoir pour conséquence de mettre en péril le parachèvement de certaines voies publiques et même de ce nouveau développement en entier.»
Enfin, on laisse entendre que l’administration municipale avait les mains liées par rapport à ce projet dont les premières discussions remontent à 2011.
«Il faut savoir que […] la Ville était dépendante de la planification élaborée à cette époque, mentionne le maire Demers. La demande de permis respectait l’ancienne planification et les élus ne pouvaient pas bloquer le projet».
Le projet en cours consiste en la 10e et dernière phase du développement Royal St-Martin, lequel compte à ce jour quelque 1650 habitations.