Si des entreprises de production de marijuana légale à des fins thérapeutiques n’attendent que le feu vert d’Ottawa pour se lancer dans le récréatif, certains intervenants du milieu de la santé regardent les deux côtés de la médaille.
«Je suis embarrassé, car pour moi, c’est la même question concernant tout ce qui peut provoquer de la dépendance, soutient Michel Breton, président de l’Association des médecins omnipraticiens de Laval. Du moment où l’individu façonne sa personnalité et que, dans sa définition de lui-même, il y a de la consommation, les conséquences ne peuvent pas être banales.»
Le médecin est confronté à plusieurs patients consommant des drogues, notamment dans les établissements carcéraux, où il travaille, ou avec de jeunes adultes dans son bureau. Pour lui, le seul gain social que cela pourrait apporter, c’est le désengorgement du système judiciaire, au détriment de la santé du consommateur.
«Cela enlèverait une source de profit au marché illicite contrôlé par le crime organisé comme on a fait avec l’alcool, ajoute-il. Mais la légalisation n’empêchera pas le marché noir d’exister. Je maintiens des réserves significatives par rapport à la santé. Ultimement, la fumée de cannabis, c’est tout aussi cancérigène que la fumée de la cigarette, c’est juste qu’on ne fume pas 25 joints par jour.»
Banalisation des effets
De l’avis de Dre Geneviève Côté, qui a une pratique ciblée en médecine de la dépendance et comorbidités, ce sont de loin les substances légales qui causent le plus de problèmes de santé, comme la cigarette ou l’alcool.
«Les patients pourraient facilement banaliser les effets du pot parce que c’est légal, estime-t-elle. Que ce soit légal ou pas, il faut reconnaître les effets. Peu importe quelle drogue on met dans notre organisme, il y a un risque au niveau de la santé mentale et des dangers psychotiques.»
Selon elle, il ne faut pas négliger les troubles induits par la substance. «Dans plusieurs cas, c’est irréversible.»
Sans oublier que le cerveau se développe jusqu’à environ 25 ans et que des symptômes de démotivation et troubles de l’humeur sont intimement reliés à la consommation de cannabis.
«Certains jeunes, en parfaite forme physique, né en bonne santé, sans déficience intellectuelle, deviennent ensuite complètement amorphes et ne veulent rien faire», indique Dre Côté, qui reçoit beaucoup de jeunes adultes dans son bureau aux prises avec des troubles de l’humeur, une indifférence et une diminution générale de la motivation en lien avec la consommation de cannabis.
Selon le médecin, qui a sa propre clinique à Laval, le gouvernement devrait mettre en place une campagne de sensibilisation avant de rendre légal le produit pour en connaître ses effets sur la santé.
«Et qu’en est-il de la conduite automobile sous l’effet du cannabis? Comment on peut contrôler les limites, comme avec l’alcool?» questionne-t-elle?
Judiciarisation
Geneviève Côté estime que les différents types d’infractions liés à la consommation de cannabis et leur punition devraient être revus.
«On devrait se questionner sur les impacts qu’un séjour en prison peut avoir sur une personne et sa réinsertion par la suite en société. Faut-il vraiment considérer quelqu’un faisant de la possession simple comme un danger pour la société?»
Prématuré
Le Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval n’a pas souhaité commenter quoi que ce soit concernant le sujet.
«Cela nous apparaît très prématuré, a répondu Doris Prince, porte-parole. Notre établissement est en attente d’orientations ministérielles à cet effet et verra à agir en respect de ces orientations.»
Même chose du côté de la Police de Laval, qui est restée avare de commentaires sur les changements que la légalisation pourrait apporter dans son travail quotidien.
«Notre rôle est d’appliquer les lois et règlements en vigueur», a émis le Service des Affaires publiques.
Deuxième pays?
Si les promesses du premier ministre Justin Trudeau se concrétisent, le Canada deviendrait le deuxième pays au monde à légaliser le cannabis, après l’Uruguay.
Déjà, l’Alaska, l’Oregon, Washington et le Colorado, aux États-Unis, sont exempts de la prohibition, toujours à des fins récréatives.
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