À l’hôtel de ville, on a beau répéter depuis un an que les autorités n’ont été saisies d’aucun projet, le spectre d’un développement domiciliaire plane plus que jamais au-dessus de cette île de 4 millions de pieds carrés baignée par les eaux de la Mille Îles, en amont de l’archipel de Terrebonne.
Plan d’aménagement
On y érigerait 75 maisons unifamiliales détachées, ce qui aurait pour effet de développer les deux tiers de cette île dont la majeure partie est encore à l’état sauvage. Seule la portion occupée par un milieu humide à la pointe est de l’île échapperait à l’urbanisation.
Voilà ce que révèle un plan d’aménagement dont le Courrier Laval a obtenu copie.
Tracé en juillet dernier sur la table à dessin de la firme d’ingénierie Equiluqs, ce croquis est le fruit d’une étude de drainage des eaux usées domestiques, commandée par le propriétaire de l’île, Luigi Liberatore. En entrevue mercredi, ce dernier, qui ne conteste pas le document, confirmait également avoir confié la mise en marché du site au Groupe immobilier Profil.
«Pas pressé»
À la question s’il prévoyait mettre en chantier son projet dès 2008, M. Liberatore est demeuré évasif: «Ça dépend de tellement de choses», dit-il, précisant toutefois qu’il n’est «pas pressé» et que «tout ce qui sera fait sera bien fait».
Son projet est «totalement en conformité avec le zonage municipal et les exigences gouvernementales», soutient celui qui préside aux destinées d’une compagnie à numéro s’étant portée acquéreur de l’île Saint-Joseph, le 19 janvier 2006.
Pas question pour lui de densifier l’habitat, promet-il. «On va garder ça unifamilial; il n’y aura pas de construction en hauteur. Le développement permettra à l’île de respirer», affirme Luigi Liberatore qui se dit très sensible à l’environnement.
Le feu vert
Si l’île Saint-Joseph a résisté jusqu’ici à la pression du développement immobilier, alors que les insulaires et les riverains se sont toujours opposés à tout projet résidentiel dans l’île, le dénouement de la situation risque d’être bien différent, cette fois-ci.
C’est qu’aujourd’hui, les citoyens ont perdu le levier dont ils disposaient et auquel ils ont eu recours à deux reprises pour faire avorter des projets domiciliaires, au début des années 90. À cette époque, tout promoteur était contraint à construire en bordure de l’une des deux seules voies de circulation existantes dans l’île. Pour un projet d’envergure, il était impératif de modifier le zonage existant.
Mais les choses ont changé depuis l’adoption par le conseil municipal, le 11 mars 2001, d’un règlement qui visait à assujettir toutes les zones RX du territoire à la procédure relative à un plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA).
En ce qui regarde l’île Saint-Joseph, concrètement, cela implique qu’il suffit désormais au promoteur de présenter un plan d’aménagement d’ensemble qui convienne à l’administration municipale pour obtenir son aval et ainsi mettre en chantier le projet, en autant que celui-ci se limite à des maisons unifamiliales tel que l’autorise la zone RX.
Cet amendement au règlement et au plan de zonage de la Ville permettrait de dénouer l’impasse qui perdure depuis plus de 20 ans et qui empêchait tout projet de développement dans l’île. «Un PIIA est actuellement la meilleure garantie d’un développement harmonieux, puisqu’il permet à la Ville de poser ses conditions et critères d’aménagement et de s’assurer de la cohérence du développement, le jour où un projet lui sera proposé», nuance le porte-parole de la Ville, Marc Laforge.
Surprise et réactions
Ce n’est qu’au printemps dernier que le président du comité d’étude sur le développement de l’île Saint-Joseph, Claude Talbot, a pris connaissance des nouvelles règles du jeu, six ans après l’adoption du fameux amendement.
Selon toute évidence, ce projet de règlement avait échappé à la vigilance des écologistes et des groupes environnementaux, puisque personne ne s’était déplacé lors de la consultation publique tenue à l’hôtel de ville le 11 janvier 2001. «Ça nous attriste beaucoup», a commenté M. Talbot lorsque rejoint par téléphone par le Courrier Laval. Le développement domiciliaire est une option qu’avait rejeté son comité en 1996 au terme de trois ans d’études. Formé sous l’initiative du maire Gilles Vaillancourt en 1993, le comité avait été chargé d’étudier les diverses possibilités d’aménagement de l’île, laquelle était tiraillée entre les droits du propriétaire foncier et ceux des citoyens avoisinants. Étant donné la richesse des espèces fauniques et floristiques répertoriées dans l’île, on recommandait l’acquisition et la transformation de l’île en parc naturel un peu à la manière de l’île de la Visitation, à Montréal. «C’est un habitat important qui devrait être protégé quant à nous», réagit le directeur de la protection et de la gestion du territoire au sein de l’organisme Éco-Nature, Jean Lauzon.
Enfin, sous le couvert de l’anonymat, un riverain habitant le boulevard des Mille Îles déplorait que la Ville ait acquis en 2005 un «ancien dépotoir» au coût de 1,9 M$ en zone agricole permanente, alors que les 4 millions de pieds carrés de l’île Saint-Joseph se sont vendus pour 2,6 M$.