Des huit jeunes rencontrés à Diapason Jeunesse (voir article Place aux décrocheurs allumés), plusieurs ont confié leur mauvaise expérience à cette école. «On dirait qu’on est envoyé là-bas [Le Virage] parce que personne ne veut se casser la tête avec nous», déplore Danny, qui après son passage à Diapason Jeunesse, ne souhaite plus retourner à l’école, mais plutôt intégrer le marché du travail et vivre en appartement. «Ça brasse trop là-bas [Le Virage]. Il y a des graffitis partout, des portes de casiers sont arrachées et il y a toujours de la bataille», ajoute Jason. «C’est beau si la police ne vient faire son tour que deux fois semaine», renchérit Louis-Michel.
Directeur du Virage depuis quelques années, Jocelyn Pothier a tenu à apporter quelques bémols à ces affirmations. «Les jeunes ont toujours le choix de rester dans leur école d’origine, à moins, évidemment, qu’ils soient toujours absents des cours ou perturbateurs, alors là certaines mesures disciplinaires s’imposent», avoue M. Pothier, expliquant du coup pourquoi ce recours devient un incontournable pour certains jeunes dits à problèmes.
Autant M. Pothier, que la présidente de la Commission scolaire de Laval (CSDL), Francine Charbonneau, soutiennent par ailleurs que le taux de violence n’est pas plus élevé au Virage que dans les autres écoles du territoire. «Nous avons plein d’éducateurs sur le plancher et des caméras de surveillance, comme dans bien d’autres écoles», soutient le directeur de cette école. Les visites policières ne seraient pas plus intensives au Virage qu’ailleurs, et le problème de graffitis s’expliquerait en partie par la situation géographique de l’école, facilement accessible par le boulevard la Concorde. «Difficile aujourd’hui de trouver une école sans graffiti, assure Mme Charbonneau. Ils sont normalement rapidement effacés, mais cet hiver, la priorité a plutôt été mise sur le déneigement des toits.»
Mme Charbonneau s’est d’ailleurs dite surprise des allégations de ces jeunes. «Le Virage donne énormément d’énergie pour venir en aide à des élèves qui ne fonctionnent plus dans le système régulier. Cette école leur offre un service plus, où, même s’il n’y a pas de cours optionnel en raison de leur retard scolaire, un programme est offert leur permettant de faire des stages dans différents domaines d’emploi», confie Mme Charbonneau.
Nouveau de cette année, le programme de formation vers un métier semi-spécialisé a toutefois connu des ratés. «Le Virage connaît cette année quelques problèmes particuliers. En début d’année, certains jeunes ont été envoyés en stage sans en avoir envie. Il y a eu réorganisation et certains élèves ont été envoyés à des endroits où ils n’auraient pas dû être», estime le président du Syndicat de l’enseignement de la région de Laval (SERL), Michel Trempe. Jocelyn Pothier ne dément pas cette affirmation, avouant que la situation sera corrigée pour permettre une meilleure intégration des jeunes pour la prochaine rentrée scolaire. «Nous nous assurerons que les élèves sont là par intérêt, pour tenter d’éviter que ce qui est arrivé cette année se reproduise», admet M. Pothier. Autre difficulté selon lui, Le Virage a dû pour ce programme trouver des stages pour 208 élèves, un défi non négligeable, considérant que ce programme en est à sa première année d’existence.
Une mauvaise réputation méritée?
Faisant la tournée des écoles avec quelques jeunes pour faire connaître à tous les programmes offerts au Virage, Jocelyn Pothier affirme que plusieurs ados ont pu jouir d’un parcours sans embûche. «Un jeune qui fait la tournée avec moi affirme aux élèves qu’ils n’ont pas à avoir peur de venir au Virage leur disant que ‘’si tu es à ton affaire, il n’y a jamais de problème’’», affirme M. Pothier.
Il est bien conscient qu’une partie de sa clientèle est plus difficile, mais admet également que le Virage accueille des sportifs de haut niveau ou des personnalités du monde du spectacle ayant besoin de programmes spéciaux en raison de leurs fréquents engagements extérieurs. «Nous accueillons des élèves en fauteuil roulant et je n’ai jamais vu personne leur faire du mal ou se moquer d’eux», ajoute-t-il.
En plus du programme de formation vers un métier semi-spécialisé pour les jeunes de niveau du premier cycle du secondaire, Le Virage offre également un programme de formation axé vers l’emploi pour des jeunes de 15 ans et plus, mais de niveau scolaire primaire. Un troisième parcours, appelé système modulaire, est donné à des élèves de 16 ans et plus sous forme de tutorat. «Les jeunes apprennent à leur rythme et doivent rencontrer un tuteur une fois par semaine», explique Jocelyn Pothier. Pour tous les programmes offerts, les jeunes rencontrent au préalable un conseiller pédagogique en orientation afin de cibler les intérêts et motivations de chacun.
Des enseignants motivés
Quant au personnel enseignant, le directeur du Virage assure que tous aiment enseigner à son école. «Les professeurs ne veulent pas aller enseigner ailleurs. Et si c’était si pire que ça, ils s’en iraient tous», constate Jocelyn Pothier.
Michel Trempe s’inquiète de son côté du manque de formation des enseignants qui doivent faire face à une clientèle en difficulté d’apprentissage. M. Pothier soutient que les professeurs n’enseignent pas seulement à des élèves à problèmes. «Dans le système modulaire, il n’y a pas de problème de discipline. Si un jeune ne veut pas être là, il n’est pas là», confie le directeur du Virage. À en croire M. Pothier, la réputation peu reluisante de l’école Le Virage serait donc un mauvais souvenir et les difficultés qui surviennent ne seraient pas plus dramatiques que dans les autres écoles de la CSDL. Reste que selon les dires du président du SERL, l’école affronterait des problèmes majeurs l’obligeant sérieusement à revoir son organisation pour la prochaine année scolaire.