C’est du moins l’avis de Benoît Fradet, conseiller du quartier Renaud et membre du comité exécutif de Ville Laval depuis 1997, qui occupe le poste de vice-président principal chez Schokbéton, une société implantée à Saint-Eustache. À son corps défendant, M. Fradet s’est trouvé, en milieu de semaine, parachuté au cœur de l’actualité à la suite d’un article mis en ligne sur RueFrontenac.com.
On y révélait qu’en 2000, dans les jours qui ont suivi l’effondrement du viaduc du Souvenir, Schokbéton s’était vue octroyer par la Ville un contrat de quelque 900 000 $, sans appel d’offres, pour démanteler, dégager, transporter et entreposer en lieu sûr les poutres de béton, qui jonchaient l’autoroute des Laurentides.
Deux ans plus tard, en 2002, Benoît Fradet joignait les rangs de cette même entreprise à titre de directeur du développement des affaires. «Je n’ai participé à aucune des décisions», insiste-t-il, ajoutant qu’il y avait, à l’époque, urgence d’agir.
La porte-parole du maire, Amélie Cliche, signale pour sa part que des deux seules entreprises qualifiées pour ce genre de travail au Québec, le choix de Schokbéton s’imposait, considérant que la firme BPDL, chargée des travaux de construction du viaduc, était sous enquête. Sur l’avis du coroner, la décision serait venue des ingénieurs du ministère des Transports (MTQ) de concert avec les services d’urgence de Laval, se défendent les deux représentants de la Ville. «Schokbéton n’a pas demandé la charité; il a rendu service au gouvernement dans un événement tragique», reprend M. Fradet.
Danger d’apparence de conflit d’intérêts…
Malgré la crise de confiance et les demandes répétées d’une commission d’enquête sur les allégations de corruption dans l’industrie de la construction et de collusion dans le processus d’octroi de contrats publics, Benoît Fradet ne voit pas de problème d’éthique, ni l’ombre d’une apparence de conflit d’intérêts, à concilier deux emplois comme décideur à l’hôtel de ville et haut dirigeant d’une entreprise susceptible de transiger avec la Ville.
«On ne fait pas affaire avec la municipalité, insiste-t-il. Je me fais un honneur de suivre l’ensemble des règles pour justement que ça n’arrive pas. Je n’ai donc pas de malaise à porter le chapeau de vice-président de Schokbéton.»
Un élu ne doit pas avoir un intérêt dans un contrat avec la municipalité, confirme Marie-Claude Prémont, professeur expert en gestion municipale à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP).
L’entreprise dont M. Fradet est vice-président principal pourrait-elle, par exemple, sous-traiter auprès d’un entrepreneur général qui aurait obtenu de la Ville un contrat de construction? «C’est une question hypothétique», de répondre prudemment le principal intéressé. À cet égard, Mme Prémont appelle à la prudence: «Normalement, on ne peut pas faire indirectement ce qu’on ne peut pas faire directement». Dans ce cas d’espèce, le fait de sous-traiter «peut certainement poser un problème» et exposer l’élu aux dangers de l’apparence du conflit d’intérêts, affirme-t-elle.
Deux emplois à temps plein
Questionné quant aux responsabilités que lui incombe la vice-présidence chez Schokbéton, M. Fradet explique qu’il est en fait le «numéro 2» de la société, qu’il «dirige cette entreprise de 200 employés» en voyant à la fois à «l’administration, la gestion, l’estimation des contrats et les ventes». L’entreprise génère un chiffre d’affaires oscillant entre 10 et 25 M$, selon Industrie Canada.
Et comment partage-t-il son emploi du temps avec ses responsabilités d’élu et de décideur lavallois? Considère-t-il ce travail comme un emploi à temps plein? «Moi, Monsieur, je considère que je m’occupe très bien de mes tâches et mes deux patrons [le maire Gilles Vaillancourt et le président de la compagnie Robert Bibeau] sont très satisfaits de mon travail et les citoyens aussi d’ailleurs», dit-il, soulignant au passage sa réélection récente pour un 4e mandat successif dans le quartier Renaud.
Devant notre insistance à savoir combien de temps il consacre dans une semaine à la gestion des affaires municipales, Benoît Fradet se borne à dire qu’il en fait beaucoup, refusant d’en chiffrer les heures. «Je passe plus de temps à travailler qu’avec ma famille. Demandez à mon épouse, elle va vous le dire.»
Faisant valoir que «rien n’interdit dans la loi qu’un conseiller municipal ait deux emplois» et qu’incidemment «plein de conseillers municipaux partout au Québec ont deux jobs», ce père de deux enfants martèle que son emploi extérieur ne l’empêche aucunement de donner sa pleine mesure dans l’exercice de ses fonctions officielles.
Contrairement au salaire que touche M. Fradet chez Schokbéton, sa rémunération à la Ville est publique. En 2009, il a encaissé 70 020 $ à titre de membre du conseil (27 680 $) et du comité exécutif (42 340 $), en plus d’une allocation de dépenses non imposable de 14 584 $, totalisant un salaire annuel équivalent à 100 000 $.