La Cour d’appel a confirmé le caractère légal d’une tour d’habitation présentement en chantier, aux limites du Club de golf de Sainte-Rose. Le projet Rosa Nova ne s’en trouve pas moins localisé en grande partie dans la zone de grand courant d’une plaine inondable, où la construction est interdite selon la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, révisée par Québec en 2005, mais qui n’est pas en vigueur à Laval.
Depuis 8 ans, les cartes des zones inondables sont plus contraignantes et circonscrivent plus largement les zones 0-20 ans, jugées plus à risque d’inondation.
Or, il appert qu’en vertu de ces nouvelles cotes de crues de la rivière des Mille-Îles, le projet de tours à condo, estimé à 52 M$, n’aurait normalement jamais pu être autorisé.
Les cotes de 1995
Mais comme la Ville de Laval a toujours résisté aux pressions de Québec, à l’effet d’intégrer à son schéma d’aménagement la cartographie révisée, les cotes toujours en vigueur en matière de règlementation municipale, à Laval, sont celles de 1995.
D’ailleurs, dans sa décision rendue le 18 avril 2013, la juge Dominique Bélanger ne manque pas de rappeler que «le gouvernement a délégué aux municipalités la gestion des projets résidentiels en rive, littoral et plaines inondables».
Tant et si bien qu’en matière de développement domiciliaire, seul un permis de construction délivré par la municipalité est requis, ce que les promoteurs ont dûment obtenu de Ville de Laval au printemps 2011.
Le Ministère débouté
Sur son site, le Centre d’expertise hydrique du Québec (CEHQ), qui a procédé à la révision des cotes, indique que pour les projets assujettis à la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE), le Ministère tient compte des cotes de crues et des cartes d’inondation de 2005. Et ce, indépendamment qu’elles diffèrent ou non de ce qui est intégré dans le schéma d’aménagement et de développement de la MRC ou dans les règlements d’urbanisme de la municipalité.
Mais contrairement aux prétentions du ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP), qui s’était tourné vers les tribunaux, l’automne dernier, pour faire cesser les travaux à Sainte-Rose, le projet de construction résidentielle Rosa Nova n’est pas assujetti à l’obtention préalable d’un certificat d’autorisation, que délivre le Ministère en vertu de l’article 22 de la LQE.
«La discrétion dont jouit le ministre pour émettre ou non un certificat d’autorisation [CA] ne va pas jusqu’à décider dans quels cas une demande doit lui être présentée», observe la juge de la Cour d’appel.
Le MDDEFP soutenait que la vente de condos conférait un caractère commercial au projet de construction et que l’ampleur du projet (70 unités pour la première tour) justifiait l’obtention d’un CA.
À cet égard, la LQE prévoit que seules les constructions destinées à des fins municipales, industrielles commerciales, publiques ou à des fins d’accès publics requièrent un CA.
Quant au Règlement relatif à l’application de la LQE, il ne fait «aucune mention du volume d’une construction ou de l’ampleur des travaux», mais «réfère plutôt, comme c’est la norme en matière d’aménagement du territoire, à la destination des travaux ou de la construction, donc à l’usage», poursuit la juge Bélanger.
Celle-ci estime que «la demande d’injonction interlocutoire aurait dû être rejetée, sans même qu’il soit nécessaire de procéder à une évaluation comparative des inconvénients».
«Laxisme» et «apathie»
Dans les jours qui ont suivi le jugement de la Cour d’appel, le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) a dénoncé à la fois le «laxisme» dont ont fait preuve les ministres de l’Environnement et «l’apathie» des Villes.
Son président, Me Jean-François Girard, rappelle qu’en vertu des articles 165.2 et suivants de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU), le ministre de l’Environnement a le pouvoir de forcer les municipalités à adopter les normes minimales de la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables et ses cotes publiées en 2005, ce que les titulaires de ce Ministère n’ont jamais fait.
S’il reproche au ministre de ne pas «véritablement jouer son rôle de fiduciaire de l’environnement», le CQDE s’en prend aux municipalités, qui «croient encore que le développement de leur territoire passe nécessairement par l’empiètement accru dans les plaines inondable».
L’organisme estime qu’il est inacceptable que les normes de la Politique 2005 ne soient toujours pas intégrées et appliquées partout au Québec.
«La protection de l’équilibre écosystémique de nos cours d’eau ne saurait souffrir encore longtemps d’autres empiètements dans les zones inondables pendant que les autorités publiques tergiversent sur l’utilisation de leurs pouvoirs et compétences», commentait le CQDE dans un communiqué publié le 24 avril.
Du côté du Conseil régional de l’environnement (CRE) de Laval, on considère que le gouvernement devrait imposer à la Ville d’intégrer à son schéma d’aménagement les cotes de 2005.
«La protection des milieux naturels et humides n’est pas une priorité à Laval», dénonce son directeur général, Guy Garand.
Incidemment, depuis l’automne, ce dernier réclame des audiences publiques en vue de l’adoption du schéma d’aménagement en concordance au Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD), adopté en 2012.
«Non seulement les cartes des zones inondables datent de 1995, mais le schéma d’aménagement révisé en 1995 n’a jamais été adopté. À Laval, le schéma en vigueur est celui de 1989», déplore Guy Garand.
La Ville se défend
Le maire Alexandre Duplessis se défend de favoriser le développement au détriment de l’environnement.
Il soutient que c’est par souci d’équité envers quelque 300 propriétaires lavallois, qui se retrouveraient soudainement en zone inondable, que la Ville a refusé de reconnaître les dernières cartes publiées par Québec.
«Ces gens-là n’ont jamais vu d’eau de leur vie et n’en verront probablement jamais», allègue-t-il, faisant valoir qu’ils subiraient un préjudice important en matière d’assurances et s’exposeraient à des écueils le jour où ils songeraient à effectuer des travaux de rénovation.
Lorsqu’on évoque une lettre signée par l’ex-ministre Nathalie Normandeau, le 20 mars 2008, demandant à la Ville d’intégrer «dans les plus brefs délais» les mises à jour de 2005, le maire concède que cette lettre leur était réacheminée à tous les remaniements ministériels.
«Chaque fois, on répondait qu’on ne croit pas que ces cotes-là soient les bonnes; que si le ministre veut les décréter, qu’il les décrète, que la Ville ne les décréterait pas» avant d’avoir commandé ses propres études, rappelle M. Duplessis.
En cours depuis 2009, ces simulations effectuées en période de hautes eaux, dans les rivières bordant l’île Jésus, se refléteront dans les cotes que la Ville intégrera à son schéma d’aménagement au premier trimestre 2014, assure le maire intérimaire.
«Ce ne seront pas les cotes de 2005, ça va être les cotes de 2013», affirme M. Duplessis.
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