La Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) observe un nombre record de reprises de logements dans le marché du condo locatif et il en découle une réduction alarmante d’unités locatives.
Faute de rentabilité, de nombreux propriétaires ont préféré vendre plutôt que de poursuivre l’aventure locative avec des pertes sèches mois après mois.
Les nouveaux acheteurs de ces condos ont procédé massivement à des reprises de logements en fin d’année 2023.
Des centaines de locataires de condos locatifs ont reçu en décembre dernier un avis de reprise par de nouveaux acheteurs ayant procédé à l’acquisition d’un condominium dans le but de se loger. Toutes ces unités locatives sont donc retirées du marché, alors que les logements disponibles pour la location se font déjà bien rares dans cette crise du logement qui semble encore prendre de la vigueur.
Le phénomène s’observe aussi dans le secteur des petits plex, puisqu’on ne parle plus de rentabilité, mais bien de pertes sèches, compte tenu de la forte augmentation des coûts des dernières années, dont les frais d’intérêt qui rendent la situation intenable pour de nombreux propriétaires.
Condos locatifs
Le secteur des condos locatifs est particulièrement touché. C’est presque 100% des transactions de vente qui se traduisent par une reprise, la vocation locative étant désormais non viable.
Avant même la hausse des taux d’intérêt, la rentabilité des condos locatifs était difficile, car les coûts liés aux assurances et aux frais de copropriété ont explosé.
L’introduction des fonds de réserve – une bonne mesure à long terme – a eu également un fort impact, entraînant des déboursés importants de la part des copropriétaires.
«Déjà avant la hausse des taux d’intérêt plusieurs logements locatifs étaient déficitaires, explique Benoit Ste-Marie, directeur général de la CORPIQ, par voie de communiqué. Avec la hausse des taux, les détenteurs de condos locatifs n’ont plus le choix que de vendre, car les pertes atteignent facilement les 400$ à 500$ par mois, une situation intenable au bout d’un temps.»
Exemple chiffré
Pour bien comprendre le phénomène, il importe de prendre un exemple chiffré, selon un scénario conservateur comparant la détention d’un condo locatif en 2021 et un condo locatif en 2023.
Prenons l’exemple d’un condo d’une valeur de 350 000$ pour lequel il y a eu une mise de fonds et des paiements en capital d’environ 25% laissant une hypothèque de 262 500$ et dont les paiements d’intérêt sont de 1112$ par mois selon un taux de 2%.
S’ajoute à ceci, les frais de condos évalués à 200$ par mois, les assurances à 125$ par mois, plus les taxes municipales et scolaires d’environs 150$, le tout s’élevant avec l’hypothèque à 1587$ de coûts mensuels, sans considérer ni les frais d’entretien, ni les frais de réparation dans la partie privative, ni les cotisations spéciales aux syndicats de copropriété, et surtout, sans compter le temps et le trouble de s’occuper de la location par le propriétaire.
Ce condo loué à l’époque 1650$ par mois, considéré cher par des groupes d’activistes, faisait déjà à peine ses frais, surtout en considérant l’imposition sur le gain en capital et le risque qu’encourt l’activité locative.
Ce même condo en 2023 aura vu son revenu s’accroitre de 1650$ par mois à 1778$ (soit une hausse de 3% la première année et une hausse de 4% la deuxième année), mais le tout à forte perte, puisque chaque mois, le propriétaire fait désormais une perte sèche de 450$.
Considérant des hausses de taxes de 9% en 2 ans, des hausses d’assurances et de frais de condo de 20%, cela conduit à un coût mensuel pour le propriétaire de 1665$, sans compter l’effet de la hausse des paiements hypothécaires.
Selon un taux hypothécaire de 6% au lieu de 2%, les paiements d’hypothèque à eux seuls sont passés de 1112$ à 1680$ par mois. En additionnant donc l’effet des taux d’intérêt, le total des coûts mensuels passe à 2233$, laissant ainsi une perte sèche de 455$, mois après mois, le tout représentant une perte annuelle d’environ 5500$, toujours sans compter les frais d’entretien et de réparation à l’intérieur du condo.
Cette illustration est le reflet de la très grande majorité des condos locatifs au Québec et d’une part importante des petits plex où les propriétaires sont face à des pertes qui, de mois en mois, ne font aucun sens économique.
À quoi bon de s’occuper d’un logement locatif dans pareille situation où il y a absence complète de rentabilité?
«Nous n’avons jamais vu autant de gens vouloir vendre leur condo locatif, c’est une véritable épidémie, déplore Benoit Ste-Marie, dans la même communication aux médias. Et, malheureusement, même un redressement de la situation des taux hypothécaires aura du mal à résorber le manque de rentabilité chronique, puisque l’équation est devenue impossible à résoudre. Nous sommes très inquiets des effets de la non-rentabilité du secteur locatif en général. Il faut s’attendre au retrait encore en 2024 à des milliers de condos et de logements locatifs, ce qui compliquera encore plus la crise du logement.»
Situation
Sur les 400 000 condos au Québec, environ 85 000 sont en mode locatif.
La CORPIQ estime que 20% des condos quitteront le marché locatif au cours des 5 prochaines années, soit un retrait de 17 000 logements.
Au cours de l’année 2023, près de 20 000 condos ont été transigés et la CORPIQ estime qu’entre 2500 et 3500 unités vont quitter le mode locatif afin de loger les nouveaux acheteurs qui avaient jusqu’au 31 décembre dernier pour transmettre leur avis de reprise.
À cela s’ajouteront toutes les reprises du secteur locatif traditionnel qui, dans le segment des petits plex, éprouve les mêmes difficultés que le condo.
«À l’heure où nous avons grand besoin d’ajouter des unités au parc pour satisfaire la demande, c’est triste de voir ainsi le marché se contracter, constate le directeur général de la CORPIQ, via communiqué. Par ailleurs, tant que la rentabilité ne sera pas au rendez-vous, il faut s’attendre à des hausses soutenues de loyers et des reprises en quantité importante.» (C.P./IJL)