Le controversé développement commercial bordant l’avenue Marcel-Villeneuve, dans Saint-François, suscite un branle-bas de combat dans le milieu agricole.
À l’origine de cette levée de boucliers: une demande inattendue de servitude d’utilité publique afin de permettre à Hydro-Québec d’alimenter quelques commerces en électricité.
Il y a une dizaine de jours, alors qu’il était aux champs, Luc Forget, copropriétaire avec ses frères de la Ferme lavalloise qui occupe les 70 hectares tout autour, recevait à cet effet la visite d’un représentant d’une firme de notaires mandatée par le développeur GD Lead.
Tous azimuts
On a beau ne pouvoir s’opposer à une servitude, l’agriculteur ne pouvait se résigner à l’idée de faire les frais d’une mauvaise planification du développement commercial jouxtant ses terres.
«Je n’ai rien contre ce développement-là; j’en ai contre le fait qu’on veuille passer chez-moi. Je ne veux pas donner de servitude pour ça», expliquait-il en entrevue au Courrier Laval le mercredi 6 décembre. D’autant qu’il considère que «le promoteur avait amplement le loisir de planifier ses installations électriques».
Luc Forget, dont la famille exploite cette terre depuis des générations, a aussitôt saisi de l’affaire la Confédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA), la Fédération de l’UPA Outaouais-Laurentides et le Syndicat de base de l’UPA Laval.
«On a décidé d’aller de l’avant avec une contestation tous azimuts parce que c’était déraisonnable», soutient-il.
Règlement
Puis, les choses se sont mises à débouler.
Hier, jeudi 7 décembre en milieu d’après-midi, la fédération régionale affirmait plancher sur «d’autres scénarios en collaboration avec Hydro-Québec et la Ville» afin d’éviter tout empiètement en zone agricole. «Puisque des discussions à cet égard sont encore en cours, nous n’avons pas d’autres éléments à communiquer», expliquait dans un échange de courriels David Landry, conseiller en communication et affaires publiques à l’UPA Outaouais-Laurentides.
Moins de 90 minutes plus tard, l’équipe des affaires publiques à la Ville de Laval informait le Courrier qu’«une solution n’impactant plus les terrains concernés a été identifiée rapidement et approuvée, et ce, à la satisfaction de l’ensemble des parties», ajoutant qu’Hydro-Québec avait été chargée de leur communiquer l’information. «La Ville demeure en communication avec les propriétaires des terrains en zone agricole pour s’assurer de la fluidité de l’information», précisait-on à la fin du courriel.
En soirée, le cabinet du maire réagissait ainsi: «[…] aussitôt que le cabinet a été informé de la situation, le maire a demandé aux équipes de la Ville d’appuyer le processus de résolution du problème entre Hydro-Québec, le commerce [promoteur immobilier] et les propriétaires des terrains agricoles. Nous continuerons de suivre de très près la situation et [de] nous assurer que les gens se parlent pour avoir la bonne information.»
D’autres enjeux
«Je suis content de constater que tout le monde est revenu à la raison», a réagi à chaud jeudi soir Luc Forget à qui nous apprenions la nouvelle.
«Cela dit, il reste encore des enjeux à l’égard des fossés de ligne et de l’égouttement des eaux du complexe commercial», enchaînait-il en évoquant des «installations pratiquement construites dans le fossé».
La partie ouest du projet poserait particulièrement problème, là où est à s’implanter à la limite de sa terre une station d’essence avec les risques d’écoulement de produits pétroliers qu’il appréhende.
«On ne peut pas utiliser la zone agricole comme zone tampon et ne pas s’en préoccuper», fait valoir l’agriculteur, dont le paternel feu Yvon Forget militait déjà dans les années 1970 pour la protection des milieux agricoles dans l’est de Laval.
«Je ne voudrais pas que les gens pensent que nous sommes des ayatollahs de la zone agricole, mais on vit de ça depuis des générations; on aime ce qu’on fait et je pense que nos voisins nous apprécient», souligne celui qui dit être «de ceux qui cultivent le paysage».
Controversé dès le départ
Ce projet de développement commercial n’en est pas à sa première controverse.
À l’été 2019, un changement de zonage avait fait grand bruit, contesté par de nombreux citoyens du secteur.
Interventions répétées au conseil municipal, pétition en ligne, demande d’approbation référendaire, registre pour la tenue d’un référendum signé par plus de 200 citoyens et demande de conformité au schéma d’aménagement et de développement révisé (SADR) du territoire auprès de la Commission municipale du Québec (CMQ) avaient alimenté le débat pendant des mois
En culture jusqu’en juillet 2019 malgré un zonage alors voué à des usages industriels et commerciaux lourds, ce lot de 120 000 pieds carrés a finalement été aménagé pour accueillir une station-service, un lave-auto, un dépanneur et deux restaurants dont une franchise de la chaîne McDonald’s qui, depuis son ouverture le 20 novembre, est alimentée 24 heures par jour par une bruyante génératrice.
Demande de raccordement
Les autorités municipales n’auraient-elles pas dû prendre en compte les besoins d’Hydro-Québec avant d’accepter, le 30 novembre 2022, le plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) déposé par le promoteur et de lui délivrer un permis de construire ?
«La planification des demandes de raccordement au réseau électrique relève de la responsabilité du commerce», explique l’administration municipale, qui dit n’agir qu’«à titre d’intermédiaire, notamment pour assurer la conformité au niveau réglementaire».
Du côté d’Hydro-Québec, on signale que le promoteur a soumis sa demande officielle de prolongement de réseau le 24 mai 2023.
«En novembre, le projet de prolongement du réseau pour le raccordement futur a reçu le consentement municipal, indiquait par courriel le 8 décembre Louis-Olivier Batty, conseiller stratégique aux Relations avec les médias pour la société d’État. À la suite de plusieurs changements par rapport au plan de prolongement initial, nous sommes toujours en ingénierie sur la solution de raccordement final».
Pas de commentaire
Le promoteur GD Lead Immobilier attendra-t-il d’être raccordé au réseau d’Hydro-Québec avant de permettre aux prochains locataires d’emménager dans leur local?
«Pour le moment, nous n’avons aucun commentaire à propos du dossier cité dans votre courriel», a répondu son coprésident Tommy-John Gélinas.
Idem pour la chaîne McDonald’s, qui se trouve bien malgré elle au cœur de la tourmente. Ni le franchisé Jérémy Lévy ni McDonald’s Canada n’a voulu commenter.
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