Depuis décembre 2022, le CPE Chapeaux Ronds et Bottillons de Pont-Viau lutte pour conserver des locaux temporaires accueillant 42 enfants au sein de l’Entraide Pont-Viau.
Depuis 2012, le CPE mène un processus d’agrandissement qui s’est concrétisé le 23 octobre par l’ouverture d’une seconde installation permanente de 80 places au 695, avenue Léo-Lacombe, dans les anciens locaux de La Parentèle.
Les 42 enfants qui recevaient les services dans les locaux temporaires loués par l’Entraide Pont-Viau y ont été transférés. En d’autres mots, aucun enfant n’a perdu sa place.
Ce sont donc 38 nouvelles places en CPE qui ont été rendues disponibles par l’ouverture de ces seconds locaux.
À ce jour, les locaux de l’Entraide Pont-Viau ne sont plus occupés par le CPE. Ce dernier offre un total de 155 places aux Lavallois.es, dont 75 à Pont-Viau et 80 à Laval-des-Rapides.
Saga
C’est en décembre 2022 que Martine Desjardins, directrice générale du CPE Chapeaux Ronds et Bottillons, a lancé l’idée au ministère de la Famille de convertir l’installation temporaire du CPE en installation permanente.
«Je sais que la place temporaire, dans la loi, elle est vouée à être fermée quand la nouvelle installation ouvre, indique Mme Desjardins. C’est pour ça que ma demande en était une de conversion et, sur quoi je me basais, c’était que le Guichet unique ne reflétait pas la réalité de notre quartier.»
La directrice a expliqué que la plupart des parents qui contactait le service de garde n’étaient pas inscrits au Guichet et n’avaient pas nécessairement les documents pour le faire.
«La ministre Suzanne Roy m’avait dit qu’il y avait peut-être lieu de se poser une question, d’un projet pilote, un projet particulier, car le quartier est particulier, explique la gestionnaire. Elle n’a pas dit oui, mais a ouvert une porte qui s’appelle l’espoir.»
Le Ministère a par la suite indiqué le dossier «sous analyse» pendant plusieurs mois.
Le Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval (CISSS de Laval) était en accord avec la démarche, ce qu’il a exprimé dans une lettre datée du 13 février où on peut lire: «Il se trouve que je n’arrive pas toujours à trouver des places pour la majorité des enfants dans nos programmes et particulièrement dans ces deux secteurs. Il est donc souhaitable que votre installation temporaire demeure ouverte puisqu’elle est déjà fonctionnelle et cela nous donnerait la possibilité d’obtenir des places supplémentaires pour nos enfants vulnérables ou à défi.» La lettre est signée Vicky Roy, chef de service prévention, promotion et services de santé jeunesse.
«On loue les locaux de l’Entraide Pont-Viau, faisait valoir Martine Desjardins. Ils obtiennent un loyer chaque mois de notre part qui les aide financièrement à opérer. Si on part, ils ont déjà des difficultés financières, donc ça ne va pas aider.»
Même si l’Entraide précise que la location représente effectivement une bonne source de financement, l’entente avec le CPE serait plus nuancée.
«S’ils restent, est-ce que ça aiderait l’Entraide? questionne Claire Le Bel, directrice générale de l’OBNL. On n’est pas supposé attendre un loyer de CPE pour pouvoir survivre et offrir des services à une clientèle qui n’a pas accès aux services de l’autre côté. Ce n’est pas normal que ce soit conditionnel. Si vraiment il y a des besoins dans le quartier et que le ministère est d’accord, qu’il aide le CPE à faire un 2e étage pour leurs affaires et qu’ils nous aident aussi à donner du financement à la mission pour continuer nos actions. Nous aussi, on a une clientèle.»
Selon l’OBNL, le contrat de location actuel serait en deçà des coûts réguliers du marché et la cour extérieure aurait été louée sans frais supplémentaires. Le contrat proposé pour l’installation permanente ne rectifierait pas la situation non plus.
«On a accepté de se tasser, sauf que, c’était temporaire, soulève Mme Le Bel. […] C’était juste pour les aider à offrir un service aux 42 enfants. C’était convenu depuis le début.»
L’Entraide Pont-Viau soutient que le manque de locataires n’est pas un enjeu et que certains étaient déjà en attente pour récupérer les locaux occupés par le CPE.
Le 10 juillet, le Ministère a confirmé de façon verbale à Martine Desjardins que sa demande était refusée.
Les raisons invoquées: il y aurait un surplus de places en milieu de garde dans ce quartier, il n’est pas possible de conserver une installation temporaire et qu’«en vertu de la Loi sur les services de garde éducatives à l’enfance (Loi), tout octroi de places subventionnées en services de garde éducatifs à l’enfance doit faire l’objet d’un appel de projets.»
Manque de places?
Acteurs communautaires, parents, travailleurs à la petite enfance… toutes les personnes avec qui le Courrier Laval a discuté dans le cadre de ce dossier sont unanimes: l’équation ministérielle selon laquelle il ne manquerait pas de places en milieu de garde dans le quartier de Pont-Viau est inexacte.
Selon le Modèle d’estimation de l’offre et de la demande en services de garde éducatifs à l’enfance en date du 31 août, dernières données disponibles, le secteur où se situe le CPE Chapeaux Ronds et Bottillons offre 3040 places à ses citoyen.ne.s alors que la demande se situe à 2904.
Le secteur analysé comprend les quartiers de Pont-Viau, Laval-des-Rapides et Renaud. La date de référence pour la demande a été fixée au 31 mai 2022, moment où les demandes sont les plus élevées chaque année, selon le Ministère. La demande est évaluée en additionnant le nombre d’enfants inscrits au Guichet unique au nombre de places occupées.
Enjeu financier
Selon les intervenants consultés, plusieurs problématiques découlent de cette équation.
«On a [731] parents sur la liste d’attente, soulève Martine Desjardins. Quand le ministère dit qu’il y a des places, oui, il y a des places, mais des places à 60$ par jour. Pour un parent, ce n’est pas réaliste. Avec le versement anticipé, ça fait des coûts encore plus élevés.»
Dans le secteur, 35% des places disponibles sont non-subventionnés. À Laval, c’est plutôt 30%, tandis que le Québec chiffre ce type de places à 22% de l’offre totale en milieu de garde.
«Le ministre Lacombe disait que le parent doit avoir le choix, mais là, il n’a pas le choix», déplore la gestionnaire en CPE avant de témoigner de l’expérience d’une des mamans du quartier contrainte de choisir un milieu de garde montréalais par manque de places abordables dans son secteur.
Élisabeth Lachance, maman d’une petite fille de 16 mois, abonde dans le même sens: «On n’en a pas de places. J’ai parlé avec d’autres parents du quartier et certains ont attendu que leur enfant ait trois ou quatre ans avant d’avoir une place.»
Toujours selon le ministère, 367 places seraient vacantes dans le quartier, excluant les enfants sur la liste d’attente. De ces 367 places disponibles, 80% sont non-subventionnées.
Accès aux services
La maison de la famille de Pont-Viau, quant à elle, apporte la notion importante de l’accès des demandeurs d’asile et nouveaux arrivants aux services de garde.
«Les demandeurs d’asile n’ont pas accès aux services des CPE, explique la directrice générale de l’organisme. Leur seule possibilité, c’est notre halte-garderie ou les garderies privées qui vont coûter 34$ la journée.[…] Les services ici et au CPE sont tous deux importants, mais pas un au détriment de l’autre.»
39 enfants ont bénéficié de la halte-garderie de l’Entraide en 2022-2023, dont la majorité sont demandeurs d’asile et allophones.
De plus, le calcul du ministère de la Famille ne tient en compte que les enfants inscrits au Guichet unique. Qu’en est-il des nouveaux arrivants qui ne maîtrisent pas la langue et les laborieuses procédures administratives québécoises?
«Toute personne qui recherche un service de garde au Québec peut accéder à la plateforme en ligne, disponible en français et en anglais», affirme Wendy Whittom, coordonnatrice aux affaires publiques et relationniste de presse du ministère de la Famille.
Quant aux nouveaux arrivants, elle indique qu’«en plus des campagnes nationales destinées au grand public, le ministère fait la promotion du guichet d’accès aux services de garde, auprès du réseau de la santé et des services sociaux ainsi que des organismes communautaires qui œuvrent auprès de différentes clientèles, dont les clientèles vulnérables.»
Le secteur Laval-des-Rapides, Pont-Viau est celui où l’on retrouve le plus de personnes immigrantes de la région, après Chomedey. Rappelons que Laval est la deuxième ville en importance quant à la proportion de sa population immigrante (28,5%).
Avenir
La directrice générale du CPE Chapeaux Ronds et Bottillons entrevoit une autre possibilité pour les locaux temporaires du CPE.
«La seule chose qui nous remplit d’espoir à l’heure actuelle, c’est que la ministre Roy a lancé la possibilité d’appels de projets pour les poupons», exprime Martine Desjardins.
Cette voie rapide permettra d’attribuer 400 places pour les poupons et 100 pour les enfants âgés de 18 mois et plus. Le ministère de la Famille a confirmé que «le CPE peut déposer un projet et, s’il est retenu, rendre rapidement les places disponibles».
Le 20 septembre, le ministère de la Famille a annoncé un projet de remplacement de la Place 0-5 ans qui entrerait en vigueur au cours de l’année 2024.
Les modifications apportées incluraient la création de véritables listes d’attente utilisées par les services de garde et les parents, l’uniformisation des critères d’admission en milieu de garde et la transmission aux parents d’un indicateur quant au rang de l’enfant en liste d’attente.