Pendant l’entièreté du 19e siècle, un emploi désormais révolu était des plus prisés pour les habitants du village lavallois de l’Abord-à-Plouffe: le métier de cageux.
Les cageux étaient de courageux hommes chargés de mener le bois demandé par l’Angleterre, et ce, de Hull jusqu’à Québec. Pour ce faire, ils empruntaient les autoroutes d’antan: les rivières.
Ils naviguaient sur des «cages», soit des assemblages de plusieurs troncs d’arbres créant des radeaux, eux-mêmes rattachés ensemble, formant d’impressionnantes formations pouvant contenir plus de 2000 billots de bois et une centaine d’hommes.
Voyage
Le premier voyage des cageux date de 1806 et a duré deux mois. Les expéditions subséquentes ont duré six jours en moyenne.
Être cageux était moins dangereux qu’être draveur, mais nécessitait tout de même une extrême prudence. Un seul de ces radeaux mesurait 30 mètres de longueur et avait une largeur de 8 à 12 mètres. Des rames de 10 mètres étaient utilisées pour naviguer à l’avant et à l’arrière des cages. En fonction de la clémence du vent, une voile était aussi hissée.
Les hommes voguaient jour et nuit, guidés par des chefs de cages. Jos Montferrand, l’un des cageux les plus célèbres, a occupé ce poste pendant plusieurs années.
Sur leurs radeaux de fortune, les cageux s’alimentaient principalement de fèves (beans) réchauffées au feu, qu’on éteignait ensuite à l’aide de sable.
Après le déchargement des cages à Québec, les vaillants travailleurs revenaient chez eux par bateau ou par calèche.
L’Abord-à-Plouffe
Au 19e siècle, le barrage hydroélectrique modérant le courant de la rivière des Prairies n’existait pas et, par conséquent, plusieurs intempéries pouvaient affecter les embarcations et leurs passagers.
Au cours de leur périple, les cageux devaient s’arrêter pour démanteler les cages avant chaque chute et rapide. C’était un processus assez laborieux, comme les cages pouvaient être composées de dizaines de radeaux.
Un arrêt obligatoire sur l’île Jésus a donc été instauré pour ces voyageurs marins sur la terre de François Plouffe, d’où la toponymie particulière de l’Abord-à-Plouffe.
Ce terrain est aujourd’hui situé approximativement entre les quartiers de Chomedey et Laval-des-Rapides, entre le boulevard Curé-Labelle et l’autoroute 15.
En plus d’être située entre plusieurs rapides, tels le Gros-Sault et Sault-au-Récollet, la terre Plouffe était à mi-chemin entre Hull et Québec et tout près de Montréal, ce qui constituait un endroit de choix pour une pause bien méritée.
La famille Plouffe gérait aussi un traversier à cet endroit ainsi qu’un hôtel.
Développement du village
Au fil des années et voyages, le village de l’Abord-à-Plouffe s’est agrandit au même titre que le commerce du bois s’accélérait.
Le village érigé en 1915, où habitait environ 760 personnes, cède place à la ville du même nom fondée en 1947, puis à la cité de Chomedey en 1961 (fusion de Saint-Martin et de la ville de Renaud) pour finalement former la ville de Laval en 1965.
Le quartier de l’Abord-à-Plouffe hébergeait des habitants très modestes. En 1861, 40% des chefs de famille étaient des cageux. À cette époque, le salaire mensuel de ces travailleurs avoisinait la dizaine de dollars.
De plus, ce métier n’occupait les travailleurs que pendant quelques mois l’hiver et au printemps. Le reste de l’année, ils œuvraient à la coupe du bois, l’agriculture ou devaient s’employer autrement.
Le métier de cageux s’est éteint en 1908 avec l’arrivée des chemins de fer, façon plus efficace et moins dangereuse de transporter le bois.
Chomedey
Aujourd’hui, on ne retrouve que peu de traces en terre lavalloise de cet épisode historique.
On peut toutefois apercevoir quelques résidences d’antan entre la 66e et la 71e Avenue, au sud du boulevard Lévesque. La 83e Avenue est d’ailleurs un tronçon de l’ancienne montée de l’Abord-à-Plouffe, l’un des chemins principaux de l’époque.
Réseau Art’hist, organisme culturel et patrimonial de Laval, organise régulièrement des virées patrimoniales fort ludiques où il est possible de découvrir l’histoire de ce quartier, incluant les cageux.