Le plus haut tribunal du Québec a déclaré illégal le contrat de 8,6 M$ conclu en 2017 entre la Ville de Laval et Tricentris, qui confiait à cet OBNL la réception, le tri et la mise en marché des matières recyclables provenant du territoire de l’île Jésus.
L’arrêt de la Cour d’appel est tombé le 20 octobre 2021 en pleine campagne électorale, passant sous le radar des partis d’opposition et des médias.
Si l’administration Demers-Boyer avait porté en appel le jugement rendu deux ans plus tôt par le juge de la Cour supérieure Michel Yergeau, la nouvelle administration municipale accepte cette fois-ci le jugement, la Ville ayant renoncé à l’option d’en appeler devant la Cour suprême du Canada.
De gré à gré
Intenté à l’époque par la firme Rebuts Solides Canadiens (RSC), aujourd’hui en faillite, le recours en justice attaquait la validité de l’entente intervenue entre la Ville et Tricentris en matière de traitement et de conditionnement des matières résiduelles recyclables issues de la collecte sélective. L’accord avait été conclu de gré à gré et non pas au terme d’un processus d’appel d’offres public, tel que la Loi sur les cités et villes (L.c.v.) le prévoit pour tous les contrats de plus de 100 000 $.
Dans la foulée du contrat de 8 632 464,26 $ octroyé par le conseil municipal de Laval, le 4 avril 2017, la Ville et Tricentris, l’adjudicataire, signaient les 11 mai et 5 juin suivants une entente faisant en sorte que Laval devienne membre de l’OBNL.
Décision
Précisons ici que les décisions rendues par les tribunaux les 7 octobre 2019 et 20 octobre 2021 visent à la fois la Ville de Laval et la MRC de Vaudreuil-Soulanges, deux dossiers distincts qui ont fait l’objet d’une instruction commune.
Ainsi, dans un arrêt tenant sur 23 pages, le juge Stéphane Sansfaçon de la Cour d’appel écrit : «[…] l’objet premier des ententes signées avec Tricentris était de leur permettre de se joindre à d’autres municipalités et organismes afin qu’elles puissent exercer en commun leurs compétences en ces matières ou de lui verser des « droits d’adhésion » et des « subventions » devenues par la suite, pour tous les membres, des « cotisations non-remboursables ». Il est, bien entendu, légitime et souhaitable que les appelantes [la Ville et la MRC] prennent des mesures et déboursent des fonds afin d’assurer le traitement de leurs matières recyclables, mais elles devaient, ce faisant, respecter les prescriptions de la L.c.v., qu’elles ont plutôt tenté de contourner. »
Le magistrat ajoute : «L’idée même que des villes se rassemblent sous le chapeau d’une entreprise privée, soit-elle à but non lucratif, afin d’exercer indirectement certaines de leurs compétences, et ce, dans le but d’éluder des règles d’ordre public dont l’objet est d’assurer la protection des citoyens des municipalités membres, aurait dû inciter à la vigilance. »
Le juge Sansfaçon déclare «nuls» les contrats qu’il «maintient en vigueur jusqu’à leur échéance», précisant «qu’ils ne pourront être prolongés ou renouvelés une fois échus».
À Laval, le contrat consenti à Tricentris arrivera à échéance le 14 avril prochain.
La Ville réagit
Conformément au prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel, la Ville lançait en novembre dernier le processus d’appel d’offres en vue du renouvellement du contrat visant la réception, le tri et la mise en marché de ses matières recyclables.
Compte tenu que Tricentris a déposé une soumission (l’OBNL l’a confirmé ce matin au Courrier Laval), la Ville ne considère-t-elle pas qu’elle ne peut qu’obtenir un meilleur prix en ouvrant le processus à la concurrence?
«Le coût ne constitue pas le seul facteur à considérer dans la bonne gestion des matières recyclables, répond dans un échange de courriels la responsable des Affaires publiques, Anne-Marie Braconnier. Parmi les nombreux autres facteurs, il faut s’assurer que les activités de tri soient effectuées de façon à minimiser la contamination, l’enfouissement et à favoriser la valorisation locale des matières.»
…Tricentris aussi
Responsable des Affaires publiques chez Tricentris, Grégory Pratte précise pour sa part que l’OBNL est «beaucoup plus qu’un centre de tri», ce que «les instances n’ont pas compris», dit-il.
En entrevue le 16 février, il explique: «Si on remporte l’appel d’offres, on devient client et la Ville perd tous les bénéfices réservés gratuitement aux municipalités membres.»
Ces services relèvent notamment du programme scolaire (pièce de théâtre et atelier thématiques adaptés aux élèves du primaire) et du programme d’amélioration de la performance. C’est d’ailleurs ce programme qui avait financé le vidéoclip viral Mets du respect dans ton bac que le populaire groupe de rap québécois Alaclair Ensemble avait tourné pour le compte de la Ville de Laval, ne manque pas de rappeler M. Pratte.
10,2 M$
Entre le mois d’avril 2017 et le 31 décembre dernier, la Ville aura versé à Tricentris un peu plus de 10,2 M$.
«Les coûts sont variables d’une année à l’autre en fonction du prix de vente des matières recyclables», précise la porte-parole de la Municipalité tout en détaillant les montants versés pour chacune des cinq dernières années.
Par exemple, il en a coûté trois fois plus en 2020 qu’en 2021, la facture passant de 3,7 à 1,2 M$ en l’espace d’une année.
Ricova en lice ?
Au moment de mettre en ligne, la firme Ricova n’avait pas retourné l’appel du Courrier Laval.
Cette entreprise québécoise, qui se spécialise dans la gestion intégrée du recyclage, avait repris en son nom l’action intentée par Rebuts Solides Canadiens après que ce dernier eut déclaré faillite en 2020. Parions qu’elle a participé au processus d’appel d’offres dont les soumissions reçues sont actuellement sous analyse à la Ville.