Depuis les 20 dernières années, les journalistes – dont je suis – qui ont été affectés à la couverture des affaires municipales au Courrier Laval ont toujours fait preuve d’une honnêteté intellectuelle et d’une rigueur professionnelle irréprochables dont je peux témoigner.
Jamais ils n’ont fait preuve de complaisance envers l’administration municipale, gardant toujours leurs distances face au pouvoir public.
Ces précisions s’imposent depuis la sortie du livre Gilles Vaillancourt, le monarque, paru aux Éditions du Journal, le 17 octobre.
On y cite, entre autres, l’ex-directeur de l’information au Courrier Laval, Jean-Claude Grenier, qui a couvert les 10 premières années du règne de Gilles Vaillancourt à la mairie.
M. Grenier affirme que la direction du journal l’empêchait d’écrire des propos négatifs sur le maire et qu’il s’accommodait de cette autocensure et apaisait sa conscience en refilant aux médias nationaux les histoires compromettantes dont il était témoin. Il lui fallait soigner l’image du maire au moyen de nouvelles positives, dit-il.
«Il y a toujours eu un respect entre Vaillancourt et nous autres, même si on était un peu ses marionnettes», soutient Jean-Claude Grenier, en parlant des journalistes que l’ex-maire invitait à l’occasion sur son bateau et dans une loge privée du Centre Bell lors de matchs du Canadien.
M. Grenier a quitté le Courrier Laval en juillet 1999.
Son départ marque la fin d’une triste époque et le début d’une ère nouvelle au Courrier Laval. Dès lors, les journalistes affectés à la couverture de la scène municipale font honneur à la profession dans le plus grand respect du droit du public à l’information, donnant préséance aux nouvelles d’intérêt public, et ce, sans égard aux susceptibilités de l’omnipotent maire.
La direction du journal marque rapidement le coup: dès l’été 1999, on m’affecte à une enquête journalistique liée à des allégations de fraudes électorales lors de la campagne municipale de 1997, qui plonge dans l’embarras l’administration Vaillancourt. Mercenaires politiques, écoute électronique, complot et usurpation d’identité dans les bureaux de scrutin sont au cœur de cette histoire, dont le Courrier Laval fait ses choux gras tout l’été.
Appelés à l’époque à couvrir les activités de la Ville, les jeunes journalistes de la salle de rédaction que sont Daniel Dubrûle, France Gaignard et Anne-Marie Savoie jouiront de la même latitude sous la direction de l’information de Jocelyn Bourassa.
L’arrivée d’un nouvel éditeur en 2003 compliquera toutefois un peu les choses. Les pressions politiques et le chantage économique exercés par le cabinet du maire Vaillancourt se feront éventuellement sentir dans la salle. L’enjeu: les sommes considérables dépensées chaque année par la Ville dans nos pages.
Cela n’empêchera pas la publication de plusieurs enquêtes journalistiques et révélations accablantes sur l’administration Vaillancourt, notamment en 2006 et 2007. Des histoires exclusives primées par les Hebdos du Québec et le Groupe Transcontinental Québec-Ontario (voir plus bas).
Reste que l’éditeur semble de plus en plus frileux et sensible aux menaces de représailles qu’il subit. Si bien qu’en octobre 2006, le directeur de l’information par intérim est licencié après avoir titré à la une «Gaspillage indécent», annonçant un reportage de Nathalie Villeneuve portant sur des purges effectuées par la Ville à partir de bornes fontaines de certains quartiers aux infrastructures vieillissantes.
Vient alors un temps où chaque article éclaboussant l’administration Vaillancourt nécessite que l’on monte au créneau pour en voir la publication. Chaque fois, nous nous élevons contre l’autocensure et faisons front contre la direction. Jamais nous n’avons accepté la compromission.
En janvier 2010, mon retrait du beat des affaires municipales, de toute évidence téléguidé depuis le bureau du maire, aura toutefois été la goutte de trop. Mes cinq collègues et moi décidons alors de dénoncer la situation en collaborant à la vaste consultation que mène cette année-là la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) sur les contraintes qui pèsent sur les journalistes couvrant les affaires municipales dans leur région respective. On y dénonce des événements où l’intimidation et l’ingérence de la Ville ont, malgré notre combativité, porté atteinte à la liberté de presse. Deux des cas recensés sont d’ailleurs cités dans le Dossier noir que la FPJQ publie en novembre 2010.
Ce n’est qu’au printemps 2014 que je retrouverai mon poste aux affaires municipales. Tenant sur une centaine de pages, une décision arbitrale force mon employeur à m’y réintégrer au terme d’une longue lutte de plus de quatre ans devant le Tribunal d’arbitrage. Le changement d’affectation que l’on contestait m’avait été imposé en 2010 à la suite d’une mise en demeure et de menaces de poursuite de Benoît Fradet, alors membre du comité exécutif de la Ville, en réaction à une série d’articles le concernant. Au cours de ces quatre années, mes collègues Nathalie Villeneuve et Geneviève Fortin prennent le relais, assurant une rigoureuse couverture des activités à l’hôtel de ville, où M. Vaillancourt règne sans partage depuis 2001.
En foi de quoi, durant les 13 années qui ont précédé sa chute, Gilles Vaillancourt n’a jamais plus contrôlé la salle de nouvelles du Courrier Laval. Le maire a dû apprendre dès l’été 1999 à composer avec des journalistes intègres et aguerris qui ne lui faisaient pas de quartier, et non à une salle de nouvelles complaisante comme le laisse entendre le livre Gilles Vaillancourt, le monarque.
Contre vents et marées, les journalistes du Courrier Laval se sont toujours fièrement tenus debout, défendant ardemment la liberté de presse, voire la démocratie locale, tout en contribuant à élever le Courrier au rang des hebdos régionaux les plus crédibles et respectés au Québec.
Notons d’ailleurs que depuis le 15 novembre 2017, date à laquelle l’entreprise 2M.MEDIA a acquis le Courrier Laval, ses journalistes n’ont jamais eu autant les coudées franches dans l’exercice de leurs fonctions, bénéficiant de toute la confiance du président-éditeur Martin Olivier. La salle de rédaction en profite au passage pour saluer l’aplomb et le sens éthique dont fait preuve M. Olivier, en soutenant une presse régionale libre et indépendante.
Cette mise au point s’imposait envers tous les journalistes professionnels qui sont passé par le Courrier au fil des 20 dernières années, mais surtout envers les Lavallois qui nous font l’honneur de nous lire chaque semaine.
Stéphane St-Amour
Journaliste
Quelques enquêtes journalistiques primées
(NDLR) Parmi les nombreuses enquêtes journalistiques menées par le Courrier Laval durant le règne de Gilles Vaillancourt, certaines ont été primées à différents galas honorant les meilleurs coups de la presse régionale.
Voici, entre autres, quatre histoires qui avaient particulièrement retenu l’attention en 2006 et 2007.
30 juillet 2006
«La Ville brise avec sa tradition de transparence» et «Le Comité exécutif n’a pas jugé bon d’aviser les citoyens».
Une histoire entourant la mise en chantier d’un projet immobilier de 100 M$ ayant échappé à la règle selon laquelle les Lavallois directement touchés par un changement de zonage sont invités personnellement à une consultation publique. Six ans plus tôt, une première demande de changement de zonage avait avorté après qu’une vingtaine de citoyens – préalablement avisés – eurent réclamé la tenue d’un registre. On découvre alors que cette politique n’est plus appliquée systématiquement et que les dossiers sont «jugés au mérite» par le maire et les membres du comité exécutif. Le journaliste Stéphane St-Amour reçoit la Plume d’Or catégorie Nouvelle 2007 des journaux Groupe Transcontinental Québec-Ontario.
17 décembre 2006
«Laval fait l’acquisition d’espaces verts».
Nathalie Villeneuve y relate une série de transactions immobilières visant à préserver et protéger certains milieux naturels. Parmi les acquisitions, l’achat contestable de deux terrains anciennement occupés par le dépotoir Cloutier, à Saint-François, identifié dans le passé comme «lieu d’élimination de déchets dangereux» par le ministère de l’Environnement. Ce texte vaut à la journaliste le 3e prix Environnement aux Hebdos du Québec 2007.
11 février 2007
«La Ville a payé 633 660 $ de plus que prévu», «Un air de déjà-vu» et «Alex Kotler, l’homme derrière Monit International». Ce dossier met au jour une situation de copinage entre la Ville et le plus important propriétaire foncier de Laval avec en toile de fond l’acquisition par l’administration Vaillancourt d’un ancien dépotoir au coût de 1,9 M$ dans le but d’en faire un écoterritoire. L’enquête vaut à son auteur Stéphane St-Amour la Plume d’Or du Grand Prix du Jury 2008 des journaux Groupe Transcontinental Québec-Ontario et le Prix du Jury Affaires municipales aux Grands Prix des Hebdos du Québec 2008.
14 octobre 2007
«Des coliformes par dizaines de milliers». Autre enquête exclusive de la spécialiste en environnement Nathalie Villeneuve portant cette fois sur les rejets de fosses septiques dans la rivière des Mille Îles, à St-François. L’analyse en laboratoire de 7 des 10 échantillons prélevés contiennent plus de 60 000 coliformes fécaux par 100 ml, dépassant plus de 60 fois le seuil de contamination où tout contact avec l’eau est proscrit. Aucun des tuyaux observés n’est immergé dans l’eau comme l’exige la règlementation provinciale visant à diluer les contaminants. Ce texte est proclamé «Best Environmental Story» au gala Quebec Community Newspapers Association (QCNA) et obtient le 3e prix Environnement aux Grands Prix des Hebdos du Québec.