Dernière mise à jour: mardi 5 avril, 00:42
Annoncée ce lundi 4 avril, l’adhésion de l’administration Boyer à la coopérative de solidarité Tricentris relance la saga judiciaire entourant le contrat pour la gestion des matières recyclables produites sur le territoire lavallois.
En clair, cette adhésion se traduit par une nouvelle entente de gré à gré avec Tricentris, qui se voit ainsi confier jusqu’en décembre 2024 les services de tri, de conditionnement et de valorisation des matières déposés dans les bacs de récupération.
Appel d’offres annulé
Ce que le communiqué de la Ville ne mentionne pas est que pour en arriver à cette entente, le comité exécutif, présidé par le maire Stéphane Boyer, a dû annuler l’appel d’offres public lancé à l’automne 2021. La décision aurait été prise à huis clos, le 30 mars.
Selon ce que le Courrier Laval a appris, à l’ouverture des enveloppes le 20 janvier dernier, la société Ricova RSC avait déposé la plus basse soumission à 2 126 307,41 $, soit quelque 300 000 dollars de moins que la proposition alors soumise par la société Tricentris, seule autre entreprise en lice pour ce contrat public.
Mais avant d’adjuger le contrat, conformément aux dispositions prévues à cet effet, la Ville disposait d’une période de 120 jours pour vérifier la conformité des soumissions reçues.
Or, dans l’intervalle, la Ville a été informée que le ministère de l’Économie et de l’Innovation avait approuvé la continuation de l’OBNL Tricentris – tri, transformation et sensibilisation en coopérative de solidarité. Du coup, Tricentris était désignée comme organisme assujetti à la Loi sur les cités et villes par la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, le 15 mars.
En raison de ces nouveaux développements, les Municipalités sont nouvellement autorisées à conclure une entente de gré à gré avec cette société, soutient la Ville de Laval qui a opté pour ce choix.
Recours légaux
«Nous analysons nos options légales», indique Stéphanie Dunglas, directrice aux Communications d’entreprise et Relations externes chez Ricova, dans un échange de courriels du 4 avril. Elle nuance ainsi les propos de son président Dominic Colubriale qui, vendredi dernier, se montrait plus affirmatif.
«Pourquoi Laval a lancé un appel d’offres si c’est pour ensuite l’annuler?, questionne celle qui dénonce la situation de monopole dont jouit Tricentris. Ricova était le plus bas soumissionnaire conforme et aurait dû remporter le contrat».
Incidemment, le 13 mars dernier, Ricova mettait en demeure la Ville de Laval de lui octroyer le contrat sous peine de poursuite.
«Nul doute que le ministre de l’Économie et de l’Innovation, par la décision qu’il aurait prise, n’a pas voulu être l’instrument du non-respect de jugements des tribunaux du Québec», signifiait son avocat Me Maurice Trudeau en enjoignant la Ville de «respecter le contrat issu de l’appel d’offres». Il évoque ici les jugements rendus successivement par la Cour supérieure, le 7 octobre 2019, et par le plus haut tribunal du Québec, le 20 octobre 2021. Ceux-ci déclaraient illégal le contrat de 8,6 M$ conclu de gré à gré en 2017 entre la Ville de Laval et Tricentris et contraignaient la Municipalité à ouvrir à la concurrence le contrat en vue de son renouvellement.
«L’octroi de gré à gré du contrat en cause à Tricentris constituerait une violation flagrante du jugement de l’Honorable Michel Yergeau j.c.s. et de l’arrêt subséquent de la Cour d’appel du Québec», soutenait l’avocat dans sa sommation dont le Courrier Laval a obtenu copie. Cette mise en demeure faisait suite à l’information communiquée trois jours plus tôt à son client par le Service de l’approvisionnement de la Ville à l’effet que les autorités municipales évaluaient la possibilité de reconduire l’entente avec Tricentris.
Deux enquêtes
Ces dernières semaines, la société Ricova a défrayé la manchette.
Il y a d’abord eu le reportage d’Enquête diffusé le 3 février sur ICI Radio-Canada, qui portait sur des ballots de papier fortement contaminés vendus en Inde, puis le rapport accablant déposé par le Bureau de l’inspecteur général (BIG) de la Ville de Montréal, le 21 mars.
Rappelons qu’à la suite de son enquête ciblant le Service de tri et de mise en marché de matières recyclables sur l’île de Montréal, l’inspectrice générale, Me Brigitte Bishop, a recommandé «de mettre fin dès que possible» aux contrats d’opération des centres de tri de Lachine et St-Michel et «que soient inscrits au Registre des personnes inadmissibles de la Ville de Montréal pour une période de cinq ans les quatre entreprises liées à la société Ricova et leur dirigeant Dominic Colubriale. Me Bishop a aussi dénoncé les faits observés au Commissaire à la lutte contre la corruption.
À cet égard, le maire de Laval, Stéphane Boyer, nous courriellait lundi après-midi via son cabinet politique: «Je confirme que j’ai pris connaissance des enquêtes de l’Inspecteur général de Montréal et du Bureau d’enquête de Radio-Canada. Bien sûr, ces dernières ont suscité plusieurs questions dans mon esprit. Heureusement, je n’aurai même pas besoin de les adresser puisque nous entendons accepter l’offre de la Coopérative Tricentris au prochain conseil municipal [demain soir]».
Avantages de l’entente
Par voie de communiqué, la Ville de Laval avait fait valoir en matinée les avantages de l’entente qu’elle s’apprête à conclure avec Tricentris, dont le statut de membre confère à la Municipalité un siège au conseil d’administration. Parmi les bénéfices qu’elle en retirera, l’administration Boyer note l’accès à des services en lien avec l’information, la sensibilisation et l’éducation.
«Nous sommes heureux de conclure cette entente puisque les objectifs de cette coopérative rejoignent ceux de la Ville. En effet, Tricentris favorise la valorisation des matières récupérées auprès d’acheteurs locaux, fait preuve de transparence dans ses processus et place la protection de l’environnement au cœur de ses préoccupations», y déclare le maire Boyer.