Aujourd’hui, la jeune femme de 17 ans habite chez sa tante, en dehors de l’île Jésus. Elle fréquente la même école que ses cousines et travaille dans un grand magasin.
«Nous l’avons éloignée de Laval et de gens qui ne lui veulent pas de bien, d’indiquer sa mère visiblement grandement soulagée après avoir traversé l’enfer. On est en train d’organiser son retour à la maison. Si nous en sommes rendus là, c’est d’abord parce qu’au retour de sa dernière fugue, j’ai insisté pour qu’elle ne sorte pas du Centre jeunesse (CJ) et qu’elle se repose, dans tous les sens du terme.»
Deux ans de tourments
À l’automne 2015, la maman de Béatrice découvre une carte professionnelle au bas de sa porte, dans Chomedey. Un inspecteur de la Police de Laval est passé et désire la rencontrer.
«Il s’était produit un événement particulier à l’école et je croyais qu’il venait pour ça, de confier Mme Talbot. Il m’a plutôt raconté que des filles se faisaient recruter près d’un dépanneur du boulevard des Laurentides. Une jeune femme avait attiré la mienne auprès d’un proxénète de 35 ans. Elle serait sa « prochaine ».»
À l’époque, Béatrice sort avec un petit copain que la mère suspecte aujourd’hui d’être un rabatteur. Celui-ci habitait un logement, boulevard Cartier, face au Centre jeunesse.
«Mon fils m’avait dit qu’elle sortait de la maison à 3h du matin quand son petit ami venait la chercher», ajoute la maman.
Rencontre et signalement
Sous un faux prétexte, Mme Talbot amène sa fille rencontrer les policiers. Celle-ci ne les croit pas quand ils mettent cartes sur table et la préviennent qu’elle est en train de se faire entraîner dans la prostitution. Béatrice devient agressive. Sa mère ne la reconnaît plus.
Un soir, en l’absence de parents, une bagarre éclate entre le frère et la sœur qui se blesse à la tête. Béatrice se retrouve à l’hôpital. C’est à ce moment que Mme Talbot signale le cas de son enfant bientôt placée en institution.
Béatrice fuguera à cinq reprises. Mme Talbot est témoin du recrutement se faisant via Facebook. Pour elle, les forces policières connaissent bien les souteneurs, mais la loi les laisse souvent impuissants.
«L’avant-dernière fugue a duré un mois, continue la maman, qui a elle-même connu un internement dans sa jeunesse. Ils l’ont retrouvée dans l’appartement montréalais d’un pimp, en compagnie d’une fille connue au Centre jeunesse.»
En février 2016, Béatrice fugue de nouveau, son dernier épisode. Mme Talbot convoque un conseil de famille pour prendre une décision commune et éclairée, ne sachant encore si elle doit imiter d’autres parents et alerter les médias. La dernière rumeur, venue de l’intérieur du CJ, envoie sa fille se prostituer à Calgary. Un maître-chien la repérera après qu’elle fut aperçue déambulant sur le boulevard Cartier.
«L’objectif est toujours de renvoyer le jeune le plus vite à la maison, prévient la mère de Béatrice. Toutefois, dans de telles situations, il est nécessaire de confiner l’enfant en unité d’isolement, sécurisée. Ma fille est restée enfermée durant trois mois. Sans permission de sortie.»
Béatrice est passée de la violence hystérique à la déprime, avant d’être réintégrée progressivement dans son unité. Depuis, elle suit le programme Qualification des jeunes, une démarche d’autonomie. On outille le jeune pour accéder au marché du travail et à la vie en général.
«Cette approche lui a permis de se reposer, d’arrêter d’être tout le temps en colère et de réfléchir à elle-même, d’ajouter Mme Talbot, qui a reçu l’aide d’une travailleuse sociale et de nombreux intervenants. Ces gars-là, les souteneurs, leur font un lavage de cerveau. Les parents deviennent des ennemis. On ne peut pas renvoyer ces filles avec les autres avant de les déprogrammer.»