Comment une équipe spécialisée en cancérologie peut-elle aider à comprendre les effets des changements climatiques sur les milieux marins ?
C’est le défi qu’une équipe de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) a relevé avec brio sous la supervision du professeur Yves St-Pierre et de la doctorante Sophia Ferchiou, en appliquant les principes de la biopsie liquide – une technique utilisée pour le dépistage précoce des cancers – aux moules du Québec.
Au service de la biodiversité
Par nature, les moules agissent comme de véritables filtres au sein de leur environnement.
Elles servent de bioindicateurs très performants pour l’évaluation de milieux marins. L’équipe de recherche a donc appliqué le principe de la biopsie liquide sur ces mollusques afin de sonder leur écosystème.
Chez l’humain, la biopsie liquide consiste à analyser l’ADN qui circule dans le sang pour détecter les traces d’un cancer.
Elle fournit de riches indications sur le type de cancer dont est atteint le patient, le stade d’avancement ou encore les mutations entraînées par la maladie.
Puisque les moules gardent des traces de tout ce qui passe dans leur environnement, la biopsie liquide peut leur faire révéler de nombreux secrets en matière de bilan écologique.
«Ce qui est novateur aujourd’hui, c’est l’utilisation d’une nouvelle technologie, soit l’analyse multiomique, qui nous permet de détecter des mutations, des changements génétiques ou épigénétiques, mais aussi de l’ADN dérivé d’organismes comme des virus, des parasites, des bactéries, et même la présence d’espèces de poissons dans un écosystème donné», explique le professeur Yves St-Pierre, spécialiste en cancérologie de l’INRS, par voie de communiqué.
«Nous sommes dans une logique à la frontière entre sciences biomédicales et biologie marine», observe le chercheur basé au Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie de l’INRS, dans la même communication aux médias.
La biopsie liquide a été effectuée à partir de l’hémolymphe – un liquide analogue au sang des vertébrés – de plusieurs milliers de moules, fournissant un véritable trésor de données et d’informations sur leur environnement.
«Nous suivons la même démarche qu’avec une personne atteinte d’un cancer, illustre le professeur St-Pierre, dans cette sortie publique de l’INRS de Laval. On détecte le mal, on offre un traitement, puis on en suit les développements. Plus tôt des traces de cancer, ou de problèmes environnementaux en l’occurrence, sont décelées, plus tôt nous pouvons agir. Avec la biopsie liquide, nous appliquons la même méthodologie, et la même philosophie en quelque sorte, à la biodiversité.»
Travail collaboratif
Ce projet se trouve aujourd’hui au cœur du travail mené par la doctorante Sophia Ferchiou à l’INRS.
«Mes recherches consistent à utiliser la moule comme espèce sentinelle, c’est-à-dire comme espèce très sensible aux évolutions de son environnement, afin d’évaluer l’état de santé des milieux marins et côtiers», résume l’étudiante en biologie marine, elle aussi via communiqué,
Sophia Ferchiou étudie sous la direction du professeur Yves St-Pierre, en codirection avec Stéphane Betoulle de l’Université de Reims.
En collaboration étroite avec les biologistes de Parcs Canada, l’équipe poursuit ses recherches sur quatre sites au Québec: Moulin-à-Baude, Cap-de-Bon-Désir et Pointe-à-John au cœur du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent ainsi qu’au parc national du Bic dirigé par la Sépaq.
Différences et particularités
Chaque site représente une particularité, comme la proximité d’un rejet d’eaux usées domestiques et agricoles ou celle d’un centre d’interprétation et d’observation.
Des différences nettes ont déjà été relevées entre ces lieux.
«En appliquant des techniques médicales aux écosystèmes marins, non seulement nous pouvons effectuer un diagnostic, mais nous pouvons aussi observer des signes précurseurs de futurs enjeux qui toucheront un écosystème. Y a-t-il des traces d’un produit chimique, l’apparition d’un virus? Nous pouvons alors établir des mesures de correction précoces, que nous suivrons régulièrement à l’aide de la biopsie liquide», souligne Sophia Ferchiou.
D’abord menées par la doctorante une fois par mois depuis 2019, ces collectes sont maintenant effectuées sur une base hebdomadaire grâce à la présence des biologistes de Parcs Canada sur les différents sites.
Une opportunité unique de suivre les écosystèmes avec régularité. «Ce partenariat nous a permis de recueillir une somme phénoménale d’échantillons», se réjouit Sophia Ferchiou. «Notre étude démontre l’efficacité de l’analyse multiomique des biopsies liquides prélevées sur les moules pour observer leurs réponses biologiques au stress environnemental.»
«Un des mandats de notre équipe de conservation est de définir et de surveiller l’état de santé des écosystèmes du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. L’approche proposée par l’INRS s’insère dans une série de suivis scientifiques menés par notre équipe et différents partenaires visant à mieux comprendre les changements et les menaces pesant sur les écosystèmes du parc marin. En plus d’être innovante et prometteuse, la méthode est non invasive et relativement simple à appliquer sur le terrain. Nous sommes très heureux de pouvoir collaborer avec cette équipe et de compter sur leur expertise», conclut Samuel Turgeon, écologiste pour Parcs Canada.
Notons finalement que ces travaux de recherche ont été financés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et les Fonds de Recherche du Québec – Nature et Technologies (FRQNT).
(Source: Institut national de la recherche scientifique)
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