Dans une décision rendue le mois dernier, le Tribunal administratif du travail (TAT) annule la destitution imposée il y a deux ans à une haute fonctionnaire municipale et ordonne à la Ville de Laval de la réintégrer dans son emploi.
Au moment de son congédiement le 17 mars 2023, Suzie Bélanger était directrice générale adjointe (DGA) affectée aux Services de proximité. Celle qui contestait son renvoi a obtenu gain de cause le 17 février dernier.
Le juge administratif François Demers conclut «que les motifs de destitution invoqués par la Ville sont soit non soutenus par la preuve, soit insuffisants pour justifier une fin d’emploi».
On lui reprochait des comportements inappropriés que l’on expliquait par une incapacité à «gérer les tensions normales et inhérentes à la fonction qu’elle occupait», peut-on lire dans une décision de 28 pages.

Ordonnance
«[…] la Ville n’a pas démontré que sa décision repose sur des motifs sages, sérieux, non arbitraires et justifiés dans le cadre d’une saine administration. La plainte fondée sur l’article 72 de la LCV [Loi sur les cités et villes] est accueillie.»
L’ordonnance de réintégration vise le poste de DGA et non l’attribution de dossiers ou de responsabilité spécifiques, précise le magistrat qui reconnaît ainsi le droit de gestion de la Ville et sa pratique «de procéder régulièrement à la réaffectation des responsabilités des DGA».
À Laval, le plus haut fonctionnaire de la Ville, le DG Benoît Collette, est secondé par quatre titulaires de Directions générales adjointes.
Plainte pour pratique interdite retenue
Par ailleurs, le juge a retenu une seconde plainte déposée par Mme Bélanger, celle-là pour pratique interdite fondée sur l’article 122 de la Loi sur les normes du travail (LNT).
L’article en question interdit notamment à un employeur de congédier une personne salariée en raison de l’exercice d’un droit protégé par la LNT.
Incidemment, Suzie Bélanger avait dénoncé être victime de harcèlement quelques jours avant sa destitution. «La Ville n’a pas démontré l’existence d’une autre cause juste et suffisante de fin d’emploi», écrit le juge administratif. Il en arrive à la conclusion que «la fin d’emploi a été imposée, en partie du moins, pour un motif illégal, soit d’avoir réclamé un environnement de travail exempt de harcèlement».
Cela dit, le juge Demers a rejeté la plainte pour harcèlement psychologique.
Perte de confiance non fondée
La Ville a plaidé l’impossibilité de réintégrer au sein de sa haute fonction publique Mme Bélanger «en raison de la détérioration du lien de confiance» envers l’ex-DGA.
Un argument qui n’a pas convaincu le juge.
«Avec égard, cela ne peut être la mesure de l’obligation de la Ville. Cela est d’autant plus vrai qu’en l’espèce, cette perte de confiance est, tout comme les motifs de destitution annoncés, non fondée», tranche-t-il.
Le magistrat ajoute: «En effet, la perte de confiance du DPRH [dirigeant principal des Ressources humaines], pour autant qu’elle soit pertinente, résulterait, en partie du moins, de l’absence de proactivité de son propre service».
Il évoque ainsi les démarches qu’avait entreprises Mme Bélanger auprès des RH quatre mois avant sa destitution, visant la mise en place d’un «coaching» exigé par le DG de l’époque et une médiation avec un ancien DGA avec qui elle avait maille à partir. «[…] dans les deux cas, ses demandes sont restées lettre morte.»
Par ailleurs, le style de gestion collaboratif exercé par le DG Benoît Collette et le fait que la principale intéressée se greffera à une toute nouvelle équipe de DGA faciliteront la réintégration de Mme Bélanger, soutient le juge.
Conclusions
Dans ses conclusions portant sur les motifs de destitution, le juge note que «la Ville n’a pas remis en question la compétence de madame Bélanger»; que les comportements qu’on lui reproche «sont tous en lien avec sa relation» avec l’ancien DGA Barak Herischi dont le départ à la retraite avait déjà été annoncé pour mai 2023 et qu’«il n’y a jamais eu de conflit sérieux entre madame Bélanger et monsieur Collette […] qui est alors fortement pressenti pour devenir le prochain DG».
De fait, Benoît Collette se verra confier le poste lors du conseil municipal du 4 avril 2023.
Quant aux «faits objectifs mis en preuve qui peuvent être reprochés à madame Bélanger», le juge cite, entre autres, «d’avoir quitté des réunions plutôt que d’affronter les situations qui, selon elle, s’envenimaient» et «d’avoir eu une réaction démesurée le 5 octobre 2022 en réaction à une insulte», ce qu’il considère être «le seul événement de véritable perte de contrôle qui pourrait [lui] être en partie reproché […] survenu plus de quatre mois avant la destitution».
Cette «prise de bec enflammée» avec un collègue lui vaudra l’imposition de certaines conditions, dont une demande d’«attestation médicale démontrant qu’elle n’a pas de pathologie connue expliquant son agressivité», une condition jugée «inhabituelle» et «humiliante» par le juge Demers.
Enfin, ce dernier relève «l’absence d’un processus d’analyse rationnel», ajoutant «que la décision [de la démettre de ses fonctions] apparait précipitée puisqu’aucun événement significatif n’était survenu en 2023, que l’équipe de direction se retrouvait réduite à deux personnes (au lieu de cinq) et que le processus de recrutement d’un nouveau DG était en cours».
Le renvoi de Suzie Bélanger le 17 mars 2023 avait été précédé cinq semaines plus tôt par celui du DG Jacques A. Ulysse qui, rappelons-le, avait quitté avec une généreuse prime de 617 000 $. Quant au DGA Clément Bilodeau, également visé par certaines allégations durant l’audience, on l’avait poussé à la retraite le 24 août 2022 moyennant une indemnité de départ de 100 000 $.
Pactole en vue
Si Mme Bélanger a quitté la Ville sans aucune indemnité en 2023, elle risque cette fois-ci de faire sauter la banque.
Selon l’article 72.2 de la Loi sur les cités et villes, lorsqu’il annule une destitution, le Tribunal a le pouvoir d’ordonner à la Municipalité de payer à l’employé une indemnité jusqu’à un maximum équivalant au traitement qu’il aurait normalement reçu s’il n’avait pas fait l’objet d’une telle mesure.
Au moment de son congédiement, Mme Bélanger commandait un salaire de 235 000 $ pour une rémunération globale de plus de 325 000 $ en tenant compte des avantages sociaux, ce qui représente un potentiel de 650 000 dollars.
«En début d’audience, il a été convenu que le Tribunal se prononcerait sur le bien-fondé des plaintes et sur l’opportunité de réintégration de madame Bélanger, le cas échéant», indique le juge dans sa décision tout en précisant qu’il réserve «sa compétence sur les autres mesures de réparation appropriées dans la mesure où les parties n’en convenaient pas».
Réaction
Joint par le Courrier Laval, l’avocat de Mme Bélanger, Me Alexandre Plakhov, n’était pas autorisé à parler de l’affaire alors que sa cliente a décliné notre demande d’entrevue.
Celle qui a occupé un poste de DGA dans la 3e ville en importance au Québec pendant trois ans et demi est aujourd’hui directrice générale et greffière-trésorière à Saint-Jean-Baptiste, une petite municipalité de la Montérégie d’à peine 3300 habitants.
Chef aux Affaires publiques à Laval, Philippe Déry, qui n’était «pas en mesure» hier de confirmer si la Municipalité évaluait ou non la possibilité de porter la décision en appel, a réagi ce matin par cette laconique déclaration transmise par courriel:
«Les représentants de la Ville sont en contact avec les représentants de Mme Bélanger pour discuter des prochaines étapes. Nous ne commenterons pas davantage ce dossier à ce stade pour favoriser un dénouement favorable.»
Le 17 février dernier, le juge ordonnait à la Ville de Laval «de réintégrer Suzy Bélanger dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges» dans un délai de huit jours.
Simple et gratuit
Meta (Facebook et Instagram) bloque vos nouvelles du Courrier Laval, tout comme Google continue de leur faire obstruction, en réponse à la loi C-18.
Pour avoir accès à vos nouvelles et rester ainsi connecté à la source, le Courrier Laval vous invite à télécharger son application. Vous pourrez ainsi continuer de lire vos nouvelles gratuitement, et ce, en temps réel avec un ratio moindre de publicités. N’oubliez pas d’activer les notifications et de passer le mot à vos proches et contacts!
Apple : https://apple.co/3wsgmKE
Android : https://bit.ly/3uGPo1D
Infolettre : https://courrierlaval.com/infolettre/