Peu après avoir quitté le boulevard Sainte-Marie, sur le sentier mouillé qui s’enfonce vers l’ouest dans la végétation clairsemée, Roger Paquette attire l’attention sur les déchets qui commencent à joncher le sol. Pneus, contenants et sacs de plastique, boîtes de conserve, résidus métalliques.
Plus loin, devant un arbre effondré exposant sans pudeur les détritus incrustés dans ses racines dénudées, M. Paquette s’indigne encore du prix payé par Laval pour ces terrains. «Si ça, ça vaut 12 cents du pied carré, je me demande combien vaut ma terre!» L’agriculteur, propriétaire d’une terre sur l’avenue des Perrons, se souvient: «Ils venaient domper ici.»
«Site écologique»
«Ils», désigne l’entreprise Industries Cloutier inc., qui exploitait un dépotoir à quelques centaines de mètres de là, avant 1970. Un peu plus à l’ouest, près du golf Saint-François, la même entreprise a tenu un site d’enfouissement sanitaire entre 1973 et 1978. Ce lot a été acquis par la Ville, en 1982, pour non-paiement de taxes, précise-t-on au ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP).
Le reste du site a fait l’objet d’une acquisition de la Ville en février 2006: 14,7 M de pieds carrés, soit une superficie comparable à 250 terrains de soccer, payés 1,9 M$, soit environ 12 cents du pied carré, à l’entreprise Monit International, qui cumulait alors 124 682,88$ de taxes impayées. «Un des plus grands achats d’espaces verts», annonçait une dépêche du Fournisseur Municipal, le 8 février 2006. Le site «sera reboisé pour devenir ultérieurement un site écologique d’importance», ajoutait-on. La nouvelle avait médusé le Conseil régional de l’environnement (CRE) Laval, qui questionnait le bien-fondé de l’achat d’un site de peu de valeur écologique.
Selon le CRE, l’ancien dépotoir couvre plus que 15% de la superficie du terrain, soit le pourcentage estimé par la Ville. À partir de photos aériennes de 1958, 1963, 1972 et 2006, le Conseil évalue qu’il a pu couvrir jusqu’à 25%. «Ces terrains n’ont jamais été retenus par aucune étude [environnementale] de Laval», soutient le directeur du CRE, Guy Garand.
Maintenant que la Ville a révélé son intention de faire de son acquisition un des treize territoires écosystémiques visés par sa future Politique de conservation et de mise en valeur des milieux naturels d’intérêt, Guy Garand enrage. «Est-ce que les Lavallois ne méritent pas mieux que d’avoir des carrières et des milieux contaminés comme milieux naturels?»
Le directeur du CRE est d’avis que la municipalité devrait plutôt viser à acquérir de «vrais écosystèmes naturels et matures». Des exemples? «Le Bois de l’Équerre, le Bois Sainte-Dorothée, le Bois d’Auteuil, le Bois Duvernay, le Bois Saint-François…»
La Ville a procédé à cet achat plutôt qu’un autre «parce que cette opportunité-là est arrivée avant d’autres, explique André Boileau, vice-président du comité exécutif de la Ville et responsable des dossiers environnementaux. […] On voyait, devant nous, une possibilité de remettre à la population de l’est […] ce terrain-là, le retourner à la nature et [lui donner] une vocation récréotouristique».
Décontamination?
Un inventaire, réalisé par un groupe d’étude (GERLED) du ministère de l’Environnement en 1984, est l’unique source d’information rendue publique à ce jour quant à la contamination du site. Ce dernier avait alors été classé dans la catégorie II, soit de risque moyen. Des déchets domestiques et des déchets industriels «en quantité appréciable» ont été déposés à cet endroit, selon le document. «L’élimination de déchets industriels y aurait été plus importante au cours de années 60», peut-on y lire.
Selon le porte-parole de Ville de Laval, Jean-Claude Beaudry, une analyse de sol a été effectuée en 2003 par une firme privée. Les résultats, qui n’ont jamais été rendus publics, n’auraient pas conclu à une contamination de la nappe phréatique. D’autres études seraient en cours, affirme André Boileau.
La décontamination ne sera pas nécessaire, selon M. Boileau. «On n’a pas l’intention d’aller exploiter le sous-sol et si on veut faire des aménagements en surface, on soumettra le tout au ministère de l’environnement et on attendra les certificats d’autorisation.»
Au MDDEP, on a d’abord expliqué que le suivi du site est la responsabilité de Laval. «Puisqu’ils sont propriétaires, ils sont responsables, dit Jean Rivet, directeur régional au ministère. On ne collige pas de l’information systématiquement sur tous les sites contaminés, sauf s’il y a un changement d’usage […] un projet ou une activité susceptible de « rebrasser » [le sol].»
Au moment de mettre sous presse, le Courrier Laval apprenait que le ministère avait changé son fusil d’épaule et demandait à la Ville les résultats des analyses de 2003. «Il y a lieu, pour la Ville, de démontrer s’il y a pollution ou non», indique Lucie Thétrault, porte-parole du MDDEP.