Selon un informateur qui requiert l’anonymat, la conseillère municipale élue dans Renaud en novembre 2021, Seta Topouzian, n’aurait pas rempli les conditions d’éligibilité prévues à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (LERM).
Cette dénonciation survient neuf ans après le procès en inéligibilité de l’ex-maire de Laval Marc Demers, dont la légitimité avait finalement été reconnue par les tribunaux.
Critère de résidence
En cause: l’article 61 de la Loi.
Cette disposition législative – qui était d’ailleurs au cœur du recours intenté contre l’ancien chef du Mouvement lavallois – exige d’un candidat à une élection municipale qu’il réside de façon continue ou non sur le territoire de la municipalité depuis au moins les 12 derniers mois le 1er septembre de l’année civile où doit avoir lieu une élection générale.
En clair, dans le cas de Mme Topouzian, la période de référence débutait le 1er septembre 2020.
Les faits
Près de 2 ans avant l’élection du 7 novembre 2021, Seta Topouzian et son conjoint Raffi Kedjakoushian font l’acquisition en décembre 2019 d’une maison à Blainville au coût de 744 000 dollars.
Au moment de la transaction, le couple déclare habiter au 536, rue Justin à Laval. Il prendra possession de sa nouvelle résidence le 23 mars 2020.
Le mois suivant, le 29 avril 2020, Mme Topouzian et son conjoint vendent leur maison de la rue Justin, apprend-on également en consultant le registre foncier du Québec.
Un an plus tard, le 7 mai 2021, à six mois jour pour jour du scrutin municipal, le Mouvement lavallois – Équipe Stéphane Boyer annonce la candidature de Seta Topouzian dans le district Renaud. La nouvelle recrue succède alors au conseiller Aram Elagoz qui quittera la vie politique au terme de son mandat.
Jour du déclenchement des élections, 17 septembre 2021, Mme Topouzian dépose son document de candidature au Bureau de la présidente d’élection, à Laval.
Elle y indique le 3762, boulevard Dagenais Ouest, appartement 3, comme adresse qui la rend éligible à l’élection. Vérification faite au rôle d’évaluation de la Ville, l’élue municipale est propriétaire de cette unité de condominium dans un quintuplex situé à Fabreville.
Changement d’adresse
Conformément à l’article 162 de la LERM, chaque candidat à une élection doit produire une pièce d’identité officielle mentionnant minimalement son nom et sa date de naissance lors du dépôt de sa déclaration de candidature.
Mme Topouzian y présente son permis de conduire, dont une photocopie recto verso est jointe à sa déclaration dont nous avons obtenu copie. À l’endos du permis, dans l’espace prévu à cette fin, la candidate avait apposé l’autocollant indiquant sa nouvelle adresse, à Blainville. Or, contrairement à l’adresse inscrite au permis qui avait été dûment caviardée, le changement d’adresse au verso a, selon toute vraisemblance, échappé à l’attention du Bureau de la présidente d’élection.
En entrevue au Courrier Laval, Mme Topouzian explique que le changement d’adresse s’est fait par «erreur» dans le tourbillon de la transaction immobilière «sans y penser deux fois».
Résidence principale
Encore à ce jour, la conseillère municipale déclare que le condominium situé au 3762, boulevard Dagenais Ouest est leur «résidence principale», et ce, «depuis 2019».
«On est ici cinq, six jours par semaine», affirme-t-elle. Le couple y aurait aménagé en 2019 pour prendre soin de la mère âgée du conjoint qui, jusque-là, occupait seule le logement depuis le décès de son époux.
Cela dit, Mme Topouzian n’a pas semblé surprise d’apprendre que des voisins auraient affirmé, l’hiver dernier, qu’une dame âgée vivait seule dans le logement. «Elle est comme une ermite. Elle est toujours à la maison. Et nous, comme on est toujours actifs, on n’est jamais à la maison», a-t-elle fait valoir. Les trois partagent «un grand 4 et demi de 1100 pieds carrés», précise l’élue de Renaud, qui dit s’occuper également de sa mère qui habite au Boisé Notre-Dame, dans Chomedey.
Quant à la maison à Blainville, dûment identifiée dans sa déclaration d’intérêts pécuniaires, elle sert de résidence secondaire au couple qui s’y retire «parfois les fins de semaine», ajoute-t-elle.
Aucune vérification
Le parti au pouvoir n’exige aucun document pour attester de l’éligibilité des personnes qui aspirent à représenter le parti à une élection.
«Le Mouvement lavallois fait signer un document intitulé «Formulaire de candidature» à l’ensemble de ses nouveaux candidat.es avant une élection», indique la porte-parole du cabinet du maire, Elizabeth Lemay, par voie de courriel. Les candidats en lice doivent y indiquer, entre autres, l’adresse où ils demeurent, la date où ils ont emménagé et, le cas échéant, les autres logements occupés dans les deux dernières années.
Par souci de transparence, la formation politique du maire Stéphane Boyer nous a transmis le formulaire signé par Mme Topouzian le 3 février 2021. Elle y déclare habiter au 3762, boulevard Dagenais Ouest, apt 3.
Quant à la «date d’aménagement à cette adresse», elle écrit «novembre 2011», ce qui correspond plutôt à la date où ses beaux-parents ont emménagé, selon ce qu’elle nous confiait en entrevue. En 2011, Seta Topouzian vivait au 536, rue Justin, dans Fabreville, là où elle a fondé sa famille en 1994.
Les candidats, seuls responsables
Si au cabinet du maire on fait valoir qu’«au terme du processus, la preuve de résidence est validée par la présidence d’élection (DGEQ) lors du dépôt de la mise en candidature», le son de cloche est tout autre chez Élections Québec.
«Le président d’élection n’a pas la charge d’analyser si la personne candidate réside bel et bien, de façon continue ou non, depuis le début de la période de référence à l’adresse fournie sur le territoire de la municipalité», explique par courriel le porte-parole Gabriel Sauvé-Lesiège.
En fait, parmi les responsabilités qui incombent au président du Bureau d’élection, il note celles de voir à ce que tous les documents requis sont joints à la déclaration de candidature, que l’adresse fournie par le candidat se situe sur le territoire de la municipalité, que le nombre de signatures d’appui correspond à celui requis et que la pièce d’identité permet d’établir que le candidat est majeur.
«Ce sont les personnes candidates qui sont responsables de s’assurer de leur éligibilité», précise-t-il en rappelant qu’elles doivent déclarer sous serment remplir les conditions d’éligibilité prévues à l’article 61 de la LERM.
«Il ne fait pas de doute que Madame Topouzian réside à Laval depuis plus 35 ans [ses parents se sont installés sur l’île Jésus en 1986] et est copropriétaire d’un immeuble à Laval depuis plus d’une décennie», termine pour sa part Elizabeth Lemay dans son courriel.
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