On savait que 28,5 % de la population lavalloise est née à l’étranger, mais on ignorait que la population immigrante avait augmenté de 123 % entre 2001 et 2016 et que 44 % des familles lavalloises sont désormais issues de l’immigration.
Voilà ce qui ressort de la mer de chiffres et pourcentages contenus dans le Portrait statistique de la population immigrante de la région de Laval, un document de référence de 220 pages élaboré à partir des données du recensement de 2016, dévoilé lors des Rendez-vous interculturels, le 9 octobre.
Même que la croissance des personnes immigrantes que Laval a accueilli sur son territoire en 15 ans quadruple celle enregistrée sur l’île de Montréal (31 %) pour la même période.
L’objectif d’un tel portrait populationnel sert à identifier «les enjeux d’inclusion à partir des réalités sociodémographiques et socioéconomiques» pour mieux planifier les actions «visant à améliorer l’accueil, l’intégration et l’établissement durable des personnes immigrantes», peut-on lire dans le rapport dont les résultats ont été débattus lors d’un panel réunissant trois spécialistes.
De quoi faire des envieux
Consciente de la «conjoncture marquée par l’hostilité croissante face aux questions d’immigration», Annick Germain, docteure en sociologie et professeure-chercheure titulaire à l’INRS-Urbanisation Culture Société, a d’emblée mis en lumière 10 faits saillants du portrait lavallois susceptible de faire «bien des envieux dans plusieurs villes européennes, américaines, mais aussi québécoises».
Elle a ainsi décliné le fait que la population immigrante soit plus qualifiée que les natifs, soit davantage propriétaire de son logement (74,3 %) et peu présente dans les logements sociaux contrairement à Montréal, détienne en grande majorité la citoyenneté canadienne (81,3%), puisse soutenir une conversation en français (83,1 %), ce qui est également le cas pour les trois immigrants récents sur quatre, provienne d’une grande diversité de pays d’origine, affiche le même pourcentage que les personnes non immigrantes déclarant ne pas avoir de religion et que son taux de chômage soit à peine plus élevé que chez les natifs.
Un souhait
Saluant le «travail remarquable» derrière ce Portrait régional, Mme Germain a tout de même émis le souhait qu’il soit éventuellement bonifié d’études complémentaires touchant la réalité des résidents non permanents, tout en évoquant la question des demandeurs d’asile et des récentes vagues de réfugiés, laquelle demeure essentielle en terme d’accueil et d’inclusion.
«Il ne faut pas oublier qu’autant au Québec qu’au Canada, il y a aujourd’hui plus de travailleurs temporaires que de résidents permanents», dit-elle, ajoutant que bien qu’ils soient moins nombreux à Laval qu’à Montréal, cela demeure «un phénomène extrêmement important», voire «une réalité qu’on ne peut pas ignorer et, surtout, qu’on doit considérer quand on entend le discours de la CAQ [du gouvernement Legault]».
Cette universitaire dont les recherches et publications portent nommément sur le cosmopolitisme, les dynamiques sociales urbaines et la cohabitation dans les quartiers multiethniques souligne au passage l’importance de l’aménagement des espaces publics en termes de cohésion sociale.
«Plus on a des espaces publics intéressants, bien aménagés et conviviaux, plus ça facilite le processus d’apprivoisement. Le plaisir de se retrouver ensemble dans la rue, c’est quelque chose de très précieux», fait-elle valoir en rappelant la présence de centaines de milliers de citoyens qui ont marché pour le climat à Montréal le 27 septembre.
Côté moins rose
D’entrée de jeu, Kamel Béji, titulaire de la chaire de recherche sur l’intégration et la gestion des diversités en emploi de l’Université Laval, s’est fait «rabat-joie» par rapport à sa collègue de l’INRS.
Docteur en sciences économiques, sa lecture des données régionales liées à l’emploi, au chômage et aux revenus soulève de fortes inquiétudes, particulièrement en ce qui regarde la situation des femmes immigrantes et des immigrants de moins de cinq ans, qu’il juge alarmante.
Au chapitre du revenu médian annuel, il observe un écart de 13 500 $ à la défaveur des femmes.
La proportion de leur revenu provenant des transferts gouvernementaux s’élève à 26,7 %, soit deux fois plus élevée chez les hommes immigrants (13,6 %).
Par ailleurs, il bémolise le taux de chômage relativement bas des travailleurs immigrants, déplorant l’absence de données sur la qualité des emplois occupés.
«Ça ne veut rien dire, dit-il. On peut être en emploi et être précaire également.»
Au sujet des personnes immigrantes œuvrant dans la fonction publique, il dit avoir déjà dénoncé auprès du ministère de l’Emploi «le plafond de béton» qui les empêchent d’accéder à des promotions, ce qui les «amène à quitter les régions».
Cet expert en gestion de la diversité dans les milieux de travail souligne que si les immigrants (15,1 %) sont plus nombreux à détenir le statut de travailleur autonome que les natifs (10 %), il reste que «ce travail atypique» demeure souvent précaire.
«Les dernières tendances québécoises en termes de politique d’immigration et d’emploi n’ont pas toujours donné le bon exemple, poursuit-il. Par exemple, la loi 21 [sur la laïcité de l’État] est, pour moi, contre la Charte des droits et libertés et précarise encore des femmes parce qu’elles portent un voile. Le gouvernement doit prêcher par l’exemple.»
Malaise
Directeur du Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne, l’historien et politicologue Frantz Voltaire a pour sa part partagé son malaise vis-à-vis les données qui distinguent les minorités visibles parmi les personnes immigrantes.
À cet égard, on apprend qu’un immigrant lavallois sur deux appartient à l’une des 12 catégories des minorités visibles, les personnes arabes, noires et latino-américaines représentant à elles seules près des trois quarts de ce groupe.
«Cela réfère à des données qui relèvent de l’histoire coloniale, déplore M. Voltaire qui a demandé à Statistique Canada de repenser son questionnaire. La question des minorités visibles remonte au moment où le Canada s’était défini de type Canada White, un pays blanc à l’exclusion des autochtones et l’on voit aujourd’hui les sévices qu’ont connues ces populations.»
Cette appellation qui appartient au passé contribue à discriminer des groupes d’immigrants par rapport à d’autres, dénonce-t-il. «Ce sont des questions sur lesquelles il nous faut débattre et réfléchir», a-t-il terminé.