RAPPORT CHARBONNEAU. Le laxisme exercé par la Commission municipale du Québec (CMQ), le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT) et le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) aurait contribué à l’exploitation et au maintien d’un système de corruption pendant de nombreuses années à l’Hôtel de Ville de Laval.
Voilà notamment ce qu’il ressort du rapport de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (CEIC) rendu public le 24 novembre par sa présidente, France Charbonneau.
Censure
Sans surprise, les quelque 80 pages que le rapport consacre au chapitre «Laval» ont été pratiquement toutes caviardées afin de ne pas nuire au procès criminel intenté contre les 34 coaccusés, dont le maire déchu Gilles Vaillancourt.
Pour les mêmes raisons, certaines portions de l’analyse de stratagèmes de collusion et de corruption mis en preuve durant les travaux de la Commission, relatives à Laval, au CUSUM et aux Hells Angels, sont frappées d’un interdit de publication.
Bref, des 16 journées d’audience et 20 témoignages ayant permis de mettre au jour le système lavallois de corruption et de collusion, dont le maire déchu Gilles Vaillancourt aurait été le cerveau, seul le volet lié au stratagème des prête-noms a échappé à la censure.
Organismes écorchés
Dans un volumineux rapport de 1741 pages, la commission Charbonneau relève le laxisme d’organismes provinciaux dans le contrôle et la surveillance des administrations municipales et des partis politiques.
Parmi ceux-ci, la Commission municipale du Québec. Entre 1988 à 2014, elle n’a déclenché, de sa propre initiative, aucune enquête sur l’administration financière d’une municipalité, déplore la Commission.
«L’exemple de l’inaction de la CMQ dans le cas de la Ville de Laval est emblématique des déficiences de l’organisme. La CMQ a d’ailleurs été critiquée à plusieurs reprises pour son manque d’initiative.»
Ministère des Affaires municipales
Idem pour le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT), dont le mandat est de surveiller la bonne gestion des deniers publics dans les municipalités.
«À la lumière des faits constatés par la Commission, à la Ville de Laval, à Montréal et dans d’autres municipalités, force est de constater que ce mandat n’a pas été adéquatement rempli», peut-on lire dans le rapport.
«Avant 2010, les pouvoirs de vérification et d’enquête du Ministère ne pouvaient être exercés qu’à la demande du ministre. Or, celui-ci n’a jamais demandé au Ministère d’effectuer une enquête sur la conduite d’un fonctionnaire ou d’un employé municipal. Il pouvait également demander à la CMQ d’enquêter sur l’administration financière d’une municipalité, mais ne l’a pas fait.»
On précise que le MAMOT n’est pas intervenu à Laval avant 2011.
Directeur général des élections du Québec
Également, «il appert que le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) n’a pas assumé adéquatement son rôle d’enquêteur et de poursuivant avant 2010», soutient la CEIC au regard de l’administration électorale et du respect des règles de financement des partis politiques.
«Plusieurs personnes ayant participé à des stratagèmes de financement politique illégal ont avoué ne pas avoir été inquiétées par le DGEQ», poursuit la Commission.
Elle en veut pour preuve le témoignage de l’ex-agent officiel du parti PRO des Lavallois, Me Jean Bertrand, qui a indiqué que «la première inspection sérieuse qui a été faite par le DGE, c’était en 2010. […] Il y a eu des inspections […] spécifiques quand il y a déjà eu des plaintes, mais ça n’a jamais donné lieu à des infractions».
Le rapport révèle que depuis au moins la fin des années 1990 «plusieurs événements démontrent que le DGEQ était informé d’allégations quant à l’existence de stratagèmes de prête-noms pour financer les partis politiques», blâmant l’organisme de ne pas avoir pris des mesures suffisantes pour contrer cette pratique.
Prête-noms
À cet égard, on se rappellera que le percutant témoignage de Me Jean Bertrand avait conduit à la mise sous tutelle de la Ville de Laval au lendemain de son passage devant la commission Charbonneau, au printemps 2013.
L’ex-agent officiel, trésorier et conseiller juridique du défunt parti PRO des Lavallois – Équipe Vaillancourt y avait levé le voile sur un stratagème de blanchiment d’argent selon lequel les élus du parti, leur conjoint(e) et leurs proches agissaient à titre de prête-noms.
Sur une période de 14 ans, leurs contributions politiques avaient permis de légitimer et de transférer plus de 500 000 $ de la caisse occulte vers le compte officiel du parti PRO, qui n’a pas survécu à la chute de son chef à l’automne 2012.
Parmi les témoins entendus, les ex-conseillers municipaux Basile Angelopoulos, Benoit Fradet, Jocelyne Guertin, alors membres du comité exécutif de la Ville, Richard Goyer et Ginette Legault Bernier avaient tous admis avoir servi de prête-noms tout en profitant de la déduction fiscale.
Toutefois, seul Richard Goyer a avoué qu’il savait à l’époque cette pratique illégale. Les quatre autres ont tous maintenu qu’ils n’en savaient rien.
Bien avant 1995
Ces chèques libellés au nom du parti en retour d’argent comptant, perçu auprès des membres des cartels d’ingénieurs et d’entrepreneurs qui versaient 2 % de la valeur des contrats obtenus à la Ville, est une pratique qui avait cours bien avant 1995, année où Me Bertrand a succédé au notaire et artisan de la première heure du PRO des Lavallois, Jean Gauthier.
Selon Jean Bertrand, c’est d’ailleurs son prédécesseur qui l’avait informé de cette façon de faire. La Commission a jugé «plus crédible» son témoignage que celui de Jean Gauthier, qui avait formellement nié cette version des faits.