Un conte de Noël pour adultes signé Micheline Duff. Une semaine chez sa mère, l’autre semaine chez son père, c’est ainsi qu’en avaient décidé les parents d’Annie, l’été dernier, au moment de leur séparation.
À vrai dire, la fillette de quatre ans, sans frère ni soeur, s’en tirait assez bien. Évidemment, elle aurait préféré demeurer perpétuellement chez elle, dans sa chambre de toujours avec ses affaires, ses jouets, ses habitudes et, surtout, avec ses deux parents tendres et compréhensifs, vivant en paix.
Malheureusement, tous les deux dimanches, elle devait déménager, avec sa valise de vêtements, dans la maison toute récente où avait déménagé son père, située à un endroit plutôt éloigné.
Elle l’aimait bien son papa, même divorcé, mais aux yeux de l’enfant, sa nouvelle conjointe, qu’elle ne connaissait pas beaucoup, s’avérait une femme plutôt sévère et exigeante, toujours en train de le disputer et de lui donner des ordres.
Trois endroits
À bien y songer, elle préférait la garderie du Centre de la Petite Enfance où elle écoulait une grande partie de ses journées, un lieu public, certes, mais rempli d’amis et d’activités intéressantes.
À la vérité, seule sa grande capacité d’adaptation à ces trois lieux différents où elle écoulait sa vie la rendait capable de demeurer sereine et quelque peu joyeuse. Moins joyeuse qu’autrefois en tous les cas, quand elle n’habitait que dans un seul endroit.
Maintenant, elle subissait la façon de vivre dans trois lieux contrastants, elle recevait les ordres de trois personnes usant différemment d’autorité, elle devait subir trois sortes de règles distinctes, elle avalait trois types de repas et elle devait se montrer sage de trois façons parfois opposées.
Par exemple, «Va réfléchir dans ta chambre» lui criait parfois son père, alors que sa mère lui ordonnait plutôt: «Lâche ta tablette et sors de ta chambre!» La gardienne du CPE, quant à elle, la menaçait autrement: «Tu vas retourner à l’intérieur si tu refuses de te montrer plus gentille avec les autres!»
Le père Noël
Noël approchait à grands pas, mais Annie ne se rappelait plus la signification de ce mot-là. C’est quand maman lui parla du père Noël et que son père voulut l’amener le visiter, alors qu’à la garderie, on ne discutait que de cadeaux, qu’elle se souvint vaguement de l’année précédente.
Mais tous, son père, sa mère, les gens de la garderie, le monde entier, d’un commun accord, semblaient s’entendre pour lui dire mille fois par jour qu’il fallait se montrer sage.
Se montrer sage… Elle l’était sage! Quoi faire de plus pour contenter tout le monde et le père Noël en particulier? Elle voulait être sage, elle le désirait de tout son coeur. À tel point qu’au centre commercial, quand le père Noël lui demanda ce qu’elle désirait pour Noël, la fillette lui répondit spontanément: «Je veux être sage.»
Le gros bonhomme et tout le monde aux alentours se mirent à rire, et Annie ne comprit pas pourquoi. Néanmoins, le père Noël lui répondit: «Très bien, ma chère petite fille sage, j’irai sûrement te voir chez-toi!» La bambine faillit lui répondre dans lequel des chez-moi, viendrez-vous? Mais elle préféra se taire et s’en retourna chez elle, c’est-à-dire à l’une de ses demeures, le coeur content mais inquiet.
Réveillon incertain
Quelques jours avant Noël, Annie ne tenait plus en place. Où se trouverait-elle lorsque le père Noël sonnerait à sa porte? Chez papa ou chez maman? Dieu merci, les garderies seraient fermées, ce jour-là.
Se tordant d’inquiétude, elle finit par s’enquérir directement à sa mère pour savoir où on fêterait Noël.
La maman lui répondit qu’elles célébreraient la nuit de Noël à la maison, le midi de Noël chez ses grands-parents et le soir de Noël chez son père.
Quand vint l’heure de se mettre au lit, la veille de la fête, maman expliqua à Annie qu’elle ferait mieux de dormir, car le père Noël viendrait en secret durant la nuit, dans toutes les maisons, pour laisser des cadeaux sous l’arbre de Noël, et qu’il ne fallait surtout pas que les enfants se réveillent.
La fillette ferma ses yeux et partit sereinement au pays des rêves quelques instants plus tard.
C’est une main couverte d’un gant blanc qui vint la réveiller aux alentours de minuit en lançant un tonitruant ha! ha! ha! Le père Noë1, c’était lui! Il était venu!
Le gros bonhomme l’entraîna par la main jusqu’au salon où, non seulement plusieurs cadeaux s’étalaient au pied du sapin, mais son père et sa nouvelle conjointe s’y trouvaient en compagnie de maman, tous les trois assis côte à côte sur le grand divan.
Quoi? Papa était venu ici? Il n’était sûrement pas entré dans la maison depuis le divorce de l’an dernier… Quelle surprise!
Premiers cadeaux
Le père Noël lui demanda alors de se joindre à eux sur le divan et il entreprit d’offrir un cadeau à chacun.
Maman, reçut le premier, un joli bijou emballé dans une petite boîte accompagné d’un mot qu’elle lut à haute voix:
«Ma chère ex-épouse, nos caractères différents et les circonstances nous ont peut-être séparés, toi et moi, mais rien ne nous empêcherait de devenir de vrais bons amis, nous deux et nos nouveaux conjoints. Ma nouvelle compagne et moi t’aimons bien, tu sais, et nous sommes bien contents de ton invitation à fêter Noël avec toi et Annie. Cultivons l’amitié, tu veux bien?
Ton ex-mari devenu ton ami et sa copine, elle aussi ta nouvelle amie.
À la surprise d’Annie, tous se mirent à pleurer et à s’embrasser. C’est alors que le père Noël remit à la fillette, à sa mère et à son père un paquet, lui aussi accompagné d’un petit mot signé par la nouvelle conjointe, en leur recommandant de se mettre tous les trois ensemble pour le déballer.
Il s’agissait d’un jeu de société dont rêvait la gamine. Une étiquette était accolée au jeu: «Pour toi, Annie, pour jouer avec ton papa.» Sur le petit mot qu’elle demanda à son père de lire pour elle, il était inscrit: «Ma jolie Annie, mon cher nouveau conjoint et son ex-épouse, sachez tous les trois que l’automne prochain, un petit garçon ou une petite fille sera parmi nous à Noël, car je suis enceinte. Tu seras de nouveau papa, mon homme, et toi, Annie, tu auras un demi-frère ou une demi-soeur. Quant à ta mère, elle-même deviendra sa belle-maman chérie. D’ici là, j’espère que nous jouerons à ce jeu de société tous ensemble.»
Les larmes se répandirent une fois de plus dans le salon.
Dernière surprise
C’est alors que le père Noël se leva et annonça son départ précipité en se disant désolé de ne pouvoir demeurer pour la distribution des autres cadeaux déjà déposés au pied de l’arbre. Il disparut aussitôt derrière la porte en lançant à tous un baiser du bout des doigts.
Cinq minutes plus tard, on sonna de nouveau à la porte. Qui cela pouvait-il être, à cette heure de la nuit?
Dès que maman ouvrit la porte, elle sauta au cou de l’inconnu et se serra contre lui en l’appelant «mon chéri». Puis elle se tourna vers tous et le présenta comme Alain, son nouveau compagnon.
Ce dernier s’excusa de n’avoir pu venir plus tôt, ayant été retardé par le trafic. Bien entendu, les adultes reconnurent le faciès de celui qui venait de jouer le rôle du père Noël, sauf Annie qui ne s’en aperçut pas du tout. Elle se contenta de lui serrer la main, car elle le rencontrait pour la première fois.
L’homme lui demanda alors d’attendre une minute, le temps d’aller chercher un autre cadeau sur le perron.
Il sortit par la porte extérieure et revint aussitôt en tenant un bébé chien qu’il remit entre les bras d’Annie en disant: C’est pour toi, il s’appelle Bonami. C’est ta maman et moi qui te l’offrons.
Annie n’oublia jamais ce Noël, pour le reste de ses jours. Elle avait maintenant quatre parents… et un chien!