Moins de deux ans après la levée de boucliers qu’avait suscitée la délivrance d’un permis de construction d’une tour de 26 étages dans un secteur de Chomedey nouvellement plafonné à 15 étages, voilà que le complexe Équinoxe Lévesque revient hanter l’administration Demers.
Dans son rapport annuel 2018 déposé au dernier conseil municipal, l’ombudsman de la Ville de Laval, Me Nadine Mailloux, réserve un chapitre à cet immeuble qui, selon toute vraisemblance, contreviendrait à la réglementation municipale.
«… différents gestes du promoteur indiquaient que ce dernier n’entendait pas nécessairement se conformer au zonage pour lequel il avait fait des représentations en vue d’obtenir le permis de construire», écrit-elle en prenant soin de taire le nom du promoteur et propriétaire Jadco Corporation, la garantie de confidentialité des dossiers traités oblige.
Refusant de confirmer au Courrier Laval qu’il s’agit bien de la tour Équinoxe située au 3030, boulevard Lévesque O., l’ombudsman se limitera à dire que les autorités municipales lui ont signifié leur intention de donner suite à sa recommandation «de faire respecter l’usage prescrit par le règlement L-2000».
Usages publics
L’enquête menée par le Bureau de l’ombudsman tend à confirmer les doutes sur la vocation d’«habitation pour personnes âgées» soulevés en juillet 2017 par des citoyens du secteur qui contestaient le projet.
Ceux-ci, qui avaient fait leur petite enquête, affirmaient alors que le projet était en réalité une tour de condos locatifs haut de gamme, ce que le zonage en vigueur ne permettait et ne permet toujours pas.
Le lot sur lequel s’élève l’immeuble est situé en zone publique (PA) permettant des usages publics et semi-publics. Aux fins résidentielles, seules les habitations pour personnes âgées y sont autorisées.
Selon nos informations, l’immeuble répondrait aux normes exigées en termes de configuration, à savoir «au moins contenir sur place une salle à manger (ou cafétéria) ou un service de restauration, une laverie automatique ou un service de buanderie (ou un dépôt à cet effet), une salle de loisir, de récréation ou de réunions, un service de surveillance ou d’assistance en cas d’urgence et des locaux destinés à un service spécialisé de soins ou d’aide».
Là où le bât blesse, c’est au niveau des occupants, lesquels ne correspondraient pas à la clientèle visée par le permis d’occupation. «On y retrouve des gens de tous âges», confient des voisins qui ne veulent pas être identifiés.
Soulagement
Les gens à qui nous avons parlé accueillent avec soulagement la recommandation de l’ombudsman, considérant qu’une minorité des 210 unités ont été louées à ce jour.
«Ça devrait limiter le trafic», fait valoir une source, inquiète quant au flux de circulation que devrait absorber le boulevard Lévesque limité à cet endroit à une voie dans chaque direction, et, particulièrement aux heures de pointe.
À cet égard, le ratio des unités de stationnement dans un complexe pour personnes âgées est 40 % inférieur à celui exigé pour un immeuble d’habitation résidentielle. Dans le cas d’Équinoxe Lévesque, le propriétaire a donc dû aménager 185 cases, soit 130 de moins de ce qu’il aurait dû prévoir pour un complexe multi-locatifs.
Autant de voitures qui potentiellement pourraient se retrouver garer en bordure de la voie publique si le gestionnaire de l’immeuble louait essentiellement à des gens dans la fleur de l’âge.
De ne pas faire appliquer l’usage prescrit par le règlement d’urbanisme créerait un dangereux précédent, observe un voisin. «Peu importe le zonage, on a un permis, on fait ce qu’on veut; ce n’est pas grave parce qu’il n’y a pas de conséquence.»
Réaction
Appelé à commenter cette enquête de l’ombudsman et préciser ses intentions quant à la possibilité de revoir ses règles afin d’éviter de se retrouver à nouveau dans ce genre de situation, le cabinet du maire Marc Demers nous a transmis par courrier électronique cette réaction: «La Ville vérifie actuellement l’ensemble du dossier. Elle analyse également les recours possibles, le cas échéant. Par respect pour le travail en cours et par souci d’éthique, nous n’émettrons pas d’autres commentaires pour l’instant.»
Jadco Corporation, propriétaire et gestionnaire de la tour Équinoxe Lévesque, n’a retourné ni nos appels ni nos courriels.
Des airs de déjà-vu
L’imbroglio autour du complexe Équinoxe Lévesque n’est pas sans rappeler la saga du Mont-Laval sous l’ancienne administration Vaillancourt.
En 2010, après que les autocaravaniers et locataires du Parc Mont-Laval eurent bloqué une demande de changement de zonage nécessaire à la réalisation d’un important projet résidentiel, le développeur et nouveau propriétaire du terrain de camping s’était résigné à modifier son projet à la faveur de résidences pour personnes âgées, ce qu’autorisait le zonage PA (usages publics et semi-publics) alors en vigueur.
Or, les deux premiers immeubles érigés sur six et neuf étages par Maisons Charplex étaient en fait des condos résidentiels, a longtemps dénoncé le Comité citoyen Sainte-Dorothée. Un changement de zonage effectué en 2015 dans la foulée du redéveloppement de l’ancien camping avait permis de régulariser la situation en rendant le tout conforme.
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